La Danse Libre
Pour développer le corps-esprit
En reprogrammant les mémoires inconscientes responsables de blocages psychoénergétiques par le jeu avec de nouveaux schémas de mouvements, elle donne accès aux ressources créatrices de chacun.
Vous avez dit danse libre ?
Au premier abord, l’alliance de ces deux mots paraît pour le moins étonnante. Dans tout ce qu’on connaît généralement de la danse, la liberté n’a pas de place. Qu’il s’agisse de danse classique, contemporaine ou de salon, il y a toujours apprentissage de pas spécifiques, de postures ou de mouvements aux noms parfois compliqués.
Rien de tel avec la danse libre qui demande à chacun de désapprendre plutôt que d’apprendre.
Le qualificatif libre mérite alors explication. Car si dans la danse libre on ne retrouve rien des codes propres aux autres formes de danse, on n’y fait pas non plus ce qu’on veut, c’est-à-dire n’importe quoi. Il ne suffit pas de décréter qu’on est libre pour l’être. La liberté est le résultat d’une libération, fruit d’un travail pour se défaire de conditionnements et de blocages dont on n’est la plupart du temps pas conscient avant de s’être placé dans certaines situations qui les mettent en évidence.
L’origine de la danse libre
Tout a commencé à la fin du XIXe siècle sur une plage californienne avec une petite fille, nommée Isadora Duncan, dansant avec ivresse devant les vagues du Pacifique. Éduquée par sa mère, pianiste de talent, à la liberté et à l’amour pour la nature et les arts, Isadora montre un talent précoce pour la danse et, dès l’âge de cinq ans, elle donne des cours de danse aux gamins de son quartier, leur montrant comment mouvoir leurs bras pour exprimer le mouvement des vagues de l’océan.
Avec l’âge, sa passion pour la danse ne faiblit pas mais elle refuse énergiquement d’apprendre la danse académique et de se plier au joug des pointes, des corsets et des collants qui sont le quotidien des danseuses classiques. Elle intègre alors divers groupes qui préfèrent s’inspirer du modèle des figures de la Grèce antique pour façonner l’expressivité particulière des danseurs. Celle-ci se traduit par une grande liberté d’expression, une spontanéité et un naturel du corps. Ces artistes revendiquent aussi le rôle de la danse comme expérience totale qui libère le corps et élève l’esprit à travers une communion avec les autres arts ainsi qu’avec la Nature.
Isadora aimait à dire : « Danser est vivre, je veux une école de vie ».
Elle était une grande intuitive et proclamait : « Oubliez le corps et écoutez la musique ». Pionnière, elle a révolutionné la danse et posé les fondements de la danse contemporaine. Elle a ouvert une voie que d’autres ont suivie.
Parmi eux on trouve François Malkovsky (1889-1982). Malgré l’admiration qu’il porte à Isadora, à l’origine de sa propre recherche, il a compris que les injonctions de cette grande danseuse ne font pas tout. Pour parvenir au but, c’est-à-dire la libération du corps et l’élévation de l’esprit, l’écoute de la musique, pour primordiale qu’elle soit, ne peut faire tout le travail à elle seule. Il faut un entraînement, une ascèse, qui en crée les conditions et les provoque.
Malkovsky invente alors une pédagogie, une batterie d’exercices inspirés des mouvements de tous les êtres de la Nature : démarche des quadrupèdes, vol plané des oiseaux, mouvements des vagues, des arbres agités par le vent, des planètes et constellations dans le ciel, mais aussi gestes des artisans et des sportifs.
Tous ces mouvements ont ceci en commun : une circulation sans entrave de l’énergie. Malkovsky avance ainsi l’idée qu’il existe un mouvement universel fondé sur les mêmes lois. L’être humain a tout intérêt à retrouver ces lois s’il veut conserver ses facultés motrices tout au long de sa vie.
Mais Malkovsky sait également que l’existence humaine ne se limite pas à la vie du corps. L’homme est aussi une âme incarnée dans ce corps et cette âme est faite de pensée et d’émotion. Aussi les exercices ne sont-ils qu’une préparation pour danser des chorégraphies. Celles-ci combinent les mouvements de base mais sont autant d’occasions d’exprimer les émotions humaines.
La danse permet ainsi à chacun de vivre la totalité de la condition humaine tout en se reconnectant au milieu dont il est issu, la Nature.
Comment j’ai rencontré la danse libre
Je suis une littéraire et, a priori, rien ne me destinait particulièrement à m’intéresser au corps, à mon corps. Rien sauf un vague sentiment de mal-être lors de mon entrée dans l’âge adulte. Sans avoir de problème réel, j’étais comme on le dit couramment mal dans ma peau.
On m’a conseillé de faire du yoga et je me suis lancée passionnément dans cette pratique, au point d’envisager de devenir professeur.
Pendant deux ou trois ans, j’ai donc pratiqué assidûment le yoga, découvrant en même temps l’arrière-plan culturel et spirituel impliqué par cette technique. Et là, je n’ai pas accroché du tout. J’ai même été complètement réfractaire à la terminologie, au nom des postures en sanscrit. Je n’étais pas contre l’hindouisme ou le bouddhisme mais je sentais que ce n’était pas pour moi.
D’autres aussi s’enthousiasmaient pour le zen, le taî-chi, le chi-qong. Je n’ai pas eu le temps de m’y intéresser car c’est précisément au sortir d’une conférence sur le zen que j’ai rencontré celle qui allait devenir mon maître de danse, Annie Garby, âgée aujourd’hui de 88 ans, et toujours bon pied, bon œil. La danse permet au corps de conserver toutes ses facultés de mouvement à travers les ans !
Annie Garby avait une prestance remarquable et j’ai été impressionnée par cette dame à la longue natte brune. Nous avons parlé et elle m’a invitée à venir participer à l’un de ses cours.
Mes premiers pas
Pour tout dire, je suis tombée de haut. Enfin, moi je suis bien restée sur mes deux pieds mais c’est plutôt mon ego qui en a pris un coup.
Si j’avais eu à exécuter des mouvements difficiles comme le font les danseuses classiques, je n’aurais pas été étonnée et je me serais dit qu’avec de la persévérance et du travail j’arriverais peut-être à quelque chose. Mais ce n’était pas ça. Les mouvements paraissaient extrêmement faciles et je n’y arrivais pas. Et ça, c’était difficile à accepter.
Qu’est-ce qu’il fallait faire ? D’abord marcher au rythme d’une musique. Parfois on me disait de faire en plus rebondir une balle de tennis et de la rattraper ou bien de la lancer en l’air. D’autres fois, on utilisait un bâton en guise de pagaie ou un foulard pour dessiner des spirales. Et bien d’autres choses encore. À chaque fois, j’avais l’impression de ne pas être dans le coup.
Pire, je découvrais que je ne savais même pas marcher ! Certes, je marchais bien avec mes jambes mais le professeur me montrait que tout le reste de mon corps, surtout le dos, était raide ou que je levais les pieds au lieu de les poser simplement sur le sol. J’ai même appris ce jour-là que je marchais à l’amble. Qui sait ce qu’est l’amble, à part ceux qui s’intéressent aux chevaux ? On m’a dit que cela désigne une démarche particulière du cheval au trot, quand les deux pattes du même côté se posent ensemble au lieu de se croiser. En fait, je faisais quelque chose en bas, avec mes pieds, et autre chose, en haut, avec mes mains. Et le balancement des bras qui s’effectue naturellement quand on marche me semblait impossible à réaliser.
C’est ainsi que j’ai découvert la première loi de la marche chez les quadrupèdes – et nous sommes des quadrupèdes. C’est le principe de latéralité croisée qui fait qu’un membre antérieur entraîne le mouvement du membre postérieur opposé.
C’est sûr qu’à côté du yoga, ça décoiffait. Car même si certaines postures de yoga étaient difficiles à prendre et à tenir sans douleur, on commençait par faire ce qu’on pouvait et on essayait de tenir un certain temps. J’avais l’impression – bien illusoire – que je me dirigeais vers la maîtrise de moi-même. Mais là, dans ces mouvements à première vue tellement simples, c’était une certitude, mon corps m’échappait totalement et refusait de m’obéir.
Au départ, loin de me rebuter cet état de fait m’a intriguée et, comme j’étais plutôt combative et ne voulais pas rester sur un échec, il m’a stimulée et poussée à continuer. D’autant que, par ailleurs, la beauté de tous ces mouvements me coupait le souffle. Il se dégageait de cette danse quelque chose qui me touchait profondément, me bouleversait. Plus tard, j’aurais l’occasion de voir plus d’une personne pleurer en voyant danser Annie Garby.
Petit à petit, j’ai abandonné ma pratique du yoga et suis vraiment entrée dans la danse…
La chenille qui devient papillon
En fait, l’image n’est pas si bien choisie que ça. Vous avez déjà vu une chenille marcher ? Elle n’est qu’ondulation avec toutes ses pattes, et elles sont nombreuses, qui se posent harmonieusement sur le support où elle se déplace. Moi, je me suis souvent dit lors de mes premiers pas de danse : « Heureusement que nous ne sommes pas des mille pattes, vues les difficultés que nous avons avec nos deux bras et nos deux jambes ! »
Mais bon ! La chenille qui devient papillon est une image fréquemment proposée pour signifier le passage d’un état à un autre, la transformation d’un être rampant en un autre qui vole.
Mais revenons à la danse. Comme pour tout, avec la pratique, on progresse et c’est ce que j’ai fait.
En plus, malgré mes difficultés psychomotrices, j’allais beaucoup mieux intérieurement. En fait, jusqu’à ce que je commence à danser, je ne savais pas qu’il me manquait quelque chose et ce quelque chose s’appelait JOIE DE VIVRE.
Au fil des séances puis des stages, mon corps s’est délié, mes mouvements sont devenus plus harmonieux et j’ai pris un plaisir fou à faire tous les exercices. On dit parfois « C’est un jeu d’enfant » pour évoquer quelque chose de facile. La danse libre n’est effectivement que jeux d’enfants mais il faut abandonner bien des mauvaises habitudes mentales pour s’y adonner, comme se prendre au sérieux, se croire important ou au contraire se dévaloriser, ne pas avoir confiance en soi. Ces propositions semblent contradictoires, en fait elles ne le sont pas. Elles ne s’adressent pas au même niveau de notre être. Les premières concernent l’ego et les secondes le Soi. En fait la danse libre muselle l’ego, elle le remet à sa place, c’est-à-dire au service du SOI. C’est l’ego qui nous empêche d’être Qui nous sommes.
Danser permet de redevenir l’enfant que nous n’aurions jamais dû cesser d’être. C’est pour moi un secret pour bien vivre, avancer dans la vie avec cet enfant intérieur toujours présent.
Voici maintenant quelques témoignages de danseurs/seuses libres
Dans la danse libre j’ai eu beaucoup de mal à laisser mon corps s’exprimer car le mental supervise et commande tout. Quelle joie ensuite de ressentir une libération du corps et de l’esprit, d’éprouver aussi une impression de vie, de simplicité en moi. La danse m’a aidée à supporter et dépasser des moments difficiles dans ma vie. Joie intérieure, réorganisation et sensation libératrice dans ma vie de tous les jours. Merci au rêve que j’ai fait à plusieurs reprises, qui m’indiquait clairement de pratiquer cette danse. F. P
D’abord la danse libre m’a permis d’accorder mon corps comme on accorde un instrument. Les exercices répétés ont ancré en moi des gestes justes et supprimé les mouvements parasites, c’est-à-dire inutiles ou pour « faire joli ». Je me meus plus aisément dans l’espace, avec plus de fluidité. La danse est un chemin dont je ne me lasse pas. J.P. L.
J’ai toujours fait beaucoup de sport, régulièrement, mais la première fois que j’ai pratiqué la danse libre, j’étais épuisée. J’ai compris petit à petit qu’il ne fallait pas « faire » des mouvements mais laisser le corps réagir, se couler dans des circuits que suit l’énergie. Un mouvement commence et les autres s’enchaînent sans effort, la fin de chacun étant le début du suivant. Quoi qu’on fasse, il faut se sentir ne rien faire. C. P
La Danse Libre est ma plus belle des convalescences, la plus belle des résurrections, un hymne à la joie, un hymne à la vie.
Après une très longue maladie et des traitements très lourds, mon corps était diminué, fatigué, amaigri, mais le mental était là : je devais Réapprendre à vivre, à Refaire connaissance avec ce corps devenu AUTRE ; le réveil fut magique, instantané. Mon corps comme devenu impatient a adopté la Danse Libre reçue comme un cadeau spirituel, nous ne faisions plus qu’un maintenant, à chaque cours je désapprends pour réapprendre. Je suis encore fragile mais j’écoute attentive l’enseignement prodigué par Annie ; j’entre doucement avec l’aide de la musique : Chopin, Liszt, Schubert, Beethoven accompagnent mes premiers pas ; je me laisse porter par toute cette énergie que je ressens dans ce cercle où nous sommes toutes, tous reliés.
Je commence ma troisième année. J’ai 78 ans.
Je suis arrivée à la Danse Libre sur conseil de mon médecin qui connaît de renom d’Annie Garby. Je me suis présentée à un week-end au CREPS, Annie m’a accueillie avec une telle chaleur, nos regards se sont croisés et j’ai ressenti une telle plénitude, une telle confiance que lorsqu’elle m’a dit : « C’est aujourd’hui que tu devais venir », j’ai su que j’étais arrivée.
Je vais de surprise en surprise à ce premier cours : danser avec les balles de tennis, danser avec un voile, faire des spirales, écouter surtout, être dans la musique cela paraît si facile, si simple ; je ressens beaucoup d’humilité, je deviens humble dans le bon sens du mot, je me mets à l’écart pour regarder le groupe danser une si belle chorégraphie, quelle harmonie se dégage de ce groupe, quelle belle énergie, et ces sourires que l’on me prodigue, et l’aide que l’on m’apporte – en miroir – c’est tellement fort que je me pince car j’ai peur que ce ne soit qu’un rêve. Mais j’avance… Merci Annie pour ta patience, ta générosité ; il m’a fallu beaucoup de temps pour comprendre ce que me proposait Annie et encore maintenant j’entends « Alice : Trop vite, calme-toi, ouvre-toi, chante ! ».
Trop vite était et est mon point faible ; au fond de moi le temps est précieux, je veux vivre vite, vite, j’ai à ce jour compris cette impatience, c’est une erreur car je ne fais que me disperser. La Danse Libre m’apporte beaucoup : calme, sérénité – mot facile à écrire – mais à ressentir ce bien-être, le vivre, le laisser glisser en soi, quelle joie profonde, le plaisir de sentir cette émotion, les larmes qui coulent…
Après un cours au CREPS, les larmes coulaient sur mon visage ; j’avais lâché prise, j’ai couru vers Annie « je pleure Annie, je pleure ! », je ne connaissais plus cette sensation et Annie de me dire en me regardant et en me serrant dans ses bras « TU NAIS » Quelle sensation étrange de se découvrir nue, mais sans peur, sans appréhension, délivrée, avec cette envie d’embrasser le monde entier. Être MOI, OSER m’ouvrir aux autres, aller à leur rencontre, partager cette énergie qui nous enrobe de bien-être ; nous sommes dans une autre dimension ; je reçois, je me nourris, je tends les bras et je transmets – bien grand mot – du bout des doigts pour ne pas se tromper. Alice Klus – Dijon, le 26 avril 2012
Pour en savoir plus :
La danse libre, sur les traces d’Isadora Duncan et de François Malkovsky
d’Anne-Marie Bruyant – Éditions Christian Rolland (2012)
L’Américaine Isadora Duncan (1877-1927) a révolutionné la danse du XXe siècle en rejetant radicalement le langage et la formation de la danse classique au profit d’une danse plus naturelle et spontanée. Bien que les plus grands danseurs et chorégraphes qui lui ont succédé aient reconnu son rôle majeur dans l’évolution de la danse, la voie qu’elle a ouverte a été désertée par tous ceux qui occupent le devant de la scène. Inspiré par la danseuse aux pieds nus, François Malkovski (1889-1982) fut le génial inventeur d’une pédagogie permettant au corps de retrouver et conserver sa liberté de mouvement afin d’exprimer les émotions humaines.
La danse libre a quitté la scène et ses spectacles, mais elle a intégré la vraie vie. Elle s’offre maintenant à quiconque ressent le désir de « danser sa vie », allumé par Isadora Duncan, pour vivre mieux et plus intensément. Cet ouvrage est né de la rencontre entre la pratique de la danse libre de l’auteur et les « Dialogues avec l’Ange » de Gitta Malash. S’est alors ouvert pour Anne-Marie Bruyant le chemin qui permet à l’âme de s’exprimer à travers le corps et à celui-ci d’écouter le chant du monde. Par ce livre, elle partage son expérience de la danse libre et propose au lecteur d’emprunter cette voie inspirante sur les traces d’Isadora Duncan et de François Malkovski.