Anorexie : la nécessité d’un regard holistique
Il s’agit donc avant tout d’une pathologie de la perception de soi. La dénutrition entraîne une dégradation progressive de la santé qui peut conduire à une hospitalisation. Fréquemment, l’anorexie alterne avec la boulimie par périodes. La honte d’avoir perdu le contrôle de soi laisse place à des conduites de compensation (laxatifs, diurétiques, se faire vomir, faire du sport à outrance). On parle de troubles du comportement alimentaire (TCA).
L’agitation incessante de l’esprit
On trouve tout autant des gens qui ont perdu goût à la vie que des hyperactifs « qui n’arrêtent pas » et paraissent souvent enjoués. Des structures psychologiques opposées qui conduisent à la même pathologie. En filigrane pourtant, il y a une fragilité, un mal-être existentiel déjà présent et qui peuvent passer inaperçus. Le risque suicidaire doit être pris au sérieux, au même titre que la mortalité par dénutrition.
Ce que toutes les personnes souffrant de TCA ont en commun, c’est de n’avoir jamais l’esprit au repos. En voulant tout contrôler dans leur vie, elles s’obligent à penser à tout et vivent sans cesse dans l’anticipation. Elles ne parviennent pas à profiter de l’instant présent et ont tendance à fuir leur propre réalité.
Pourquoi ce conflit s’exprime par la nourriture
Manger est la première chose que nous faisons à la naissance. Lorsqu’un nourrisson se trouve dans une situation déplaisante, il se manifeste pour obtenir le sein et l’affection de sa mère. Pour l’inconscient, il n’existe pas de différence entre nourriture affective et nourriture réelle. Une fois adulte, certains événements stressants peuvent réactiver ce réflexe primitif. En lieu et place de sein maternel, nous allons nous diriger vers le frigo ou le placard. Les difficultés d’une personne fragile à qualifier ses émotions, sa propension à être débordé par elles, amplifient le phénomène et la rapprochent d’un mode de réponse archaïque.
Le problème se complique quand ce sont les apports maternels, censés apaiser les tensions du nourrisson, qui sont source d’angoisse. Une mère dépressive, ou souffrant de carences affectives importantes, est en position de demande vis-à-vis de son enfant. Le bébé devient réceptacle des émotions négatives de sa mère. Pour montrer son désir d’échapper à cela, le bébé n’a pas d’autres moyens que refuser le lait maternel… dont il a pourtant besoin et envie !
L’anorexique est enfermée dans cette dualité. Du coup, elle procède à ce qu’on appelle une formation substitutive. Je ne peux pas dire à ma mère que je n’ai pas apprécié le type d’affection qu’elle m’a porté, ni lui demander aujourd’hui de me donner une bonne affection, ni lui avouer que j’en ai besoin. En revanche, je peux refuser la nourriture qu’on me propose, sélectionner uniquement ce qui ne me fait pas de mal (aliments pauvres) et montrer que je contrôle mes besoins.
L’anorexie apparaît le plus souvent à l’adolescence
Parce que c’est une période de mutation qui offre une occasion de se délester du poids des contraintes. L’adolescence, c’est la remise en question des acquis de l’enfance, la différenciation et l’éloignement d’avec les parents. Le jeune va tester ses limites et s’essayer à différentes formes d’engagement dans la vie extérieure afin de faire ressortir son identité. Par des pratiques parfois à risque, l’adolescent veut voir ce que ça fait d’être privé des protections parentales, de fixer lui-même ses propres règles et limites.
La pensée est clivée. L’adolescent veut changer, évoluer, muer, se débarrasser de cette peau trop petite pour aller embrasser d’autres dimensions et se mesurer à l’infini. Mais en même temps, il souhaiterait rester enfant, conserver cette forme neutre qui n’appelle ni engagement ni responsabilité. Il n’a pas tant peur de découvrir le monde que de découvrir qui il est. L’adolescent peut aussi être emporté par ses perceptions, car rien ne l’a préparé à une rupture si brutale. S’il ne comprend pas de quoi il se débarrasse, alors il n’a plus rien à quoi se raccrocher.
Les parents : quelle part de responsabilité ?
Les parents ont vite fait de culpabiliser et cela rajoute inutilement à la souffrance. Être parent n’est pas aisé, tant de choses nous dépassent. Bien entendu, il y a les cas d’inceste ou de maltraitance, où la personne se sent souillée et va se retrancher dans une anorexie. Mais la plupart du temps, c’est un manque de confiance et d’estime de soi qui va être brutalement réveillé par un évènement affectif, comme un éloignement de la famille ou une rupture sentimentale.
Il existe des constantes psychologiques, parce qu’on les retrouve presque toujours : une relation fusionnelle avec la mère, un sentiment de manque de père et une famille qui a du mal à communiquer. Si les parents ont transmis quelque chose, ils ne sont souvent qu’un vecteur. Ce peut être l’opportunité d’éclaircir les relations dans la famille. Il n’y a pas de coupable à trouver, seulement à prendre conscience des liens qui existent et des barrages à lever pour rétablir l’harmonie.
De la psychogénéalogie à la physique quantique
Nous héritons de certains traits de caractère de nos parents, mais aussi de toute l’histoire psychologique de notre famille. Nos aïeux avaient leurs peines, leurs doutes, leurs émotions inexprimées et leurs rêves inaccomplis. Nous en sommes imprégnés dans notre chair, que nous le voulions ou non. C’est ce qui est étudié en psychogénéalogie.
Une autre science récente, l’épigénétique, nous apprend que l’ADN ne porte pas seulement notre patrimoine génétique, mais aussi des informations comportementales faisant état de certains modes d’adaptation utilisés par nos parents et que nous tendons à reproduire. Exemple : une femme a vécu très pauvre et son petit frère est mort de faim, des années plus tard elle fait un enfant en attendant de lui qu’il soit aussi fort que possible dans la société et ne manque de rien. Cet enfant développe un mode de pensée mais aussi un corps (surpoids) qui va en ce sens. Il peut se sentir très mal dans ce corps qui lui semble étranger.
Il faut comprendre cette transmission non comme une accumulation mais comme un phénomène ondulatoire, qui par nature se propage dans le temps sans s’affaiblir à travers les cellules de chaque individu de la descendance. Elle est capable de mettre les cellules en ordre de marche conformément aux informations dont elle est porteuse. Lorsqu’on a compris que le corps et l’esprit sont deux aspects différents d’une seule et même chose, tout cela devient plus clair. C’est ce que la physique quantique tend à démontrer.
Ces fluctuations dans l’expression des gènes ne sont aucunement un programme inéluctable. C’est nous qui au final choisissons notre mode de réponse, en fonction de la qualité de la relation que nous entretenons avec notre environnement. C’est donc une question de conscience et de présence. A défaut, il va se constituer progressivement ce qu’Eckart Tolle appelle un corps de souffrance. L’anorexie est peut-être un réflexe de survie pour s’en débarrasser.
Une volonté irrépressible d’aller jusqu’au bout… de quoi ?
La relation conflictuelle chez l’anorexique n’est pas seulement avec la nourriture mais avec la matière. En refusant de s’alimenter, c’est bien son corps qu’elle cherche à modifier, comme si elle voulait en arracher quelque chose. Nous sommes face à un phénomène particulier où la destruction est synonyme de libération. Dans sa logique binaire, l’inconscient va au plus direct : si je ne peux pas me débarrasser des pensées qui me hantent et que mon corps en est imprégné, alors je vais me débarrasser du corps. Du coup, tant que ce « logiciel » inconscient tourne, il n’est pas possible d’avoir une image de soi réaliste. Un peu de corps, c’est toujours trop de corps.
Selon la loi de Hering, bien connue des homéopathes, le processus de rémission d’un état pathologique consiste à faire ressortir de la profondeur vers la superficie les souffrances qui l’ont constitué. La symptomatologie se lit à l’envers, c’est-à-dire dans l’ordre dans lequel la personne peut en exprimer la charge tant qu’elle en a la possibilité. En maigrissant, plus elle se rapproche du cœur du problème, plus elle risque de rencontrer des zones émotionnellement chargées, et parallèlement plus l’espoir de recouvrer sa vérité intérieure renaît. C’est ainsi qu’on peut voir, à un certain moment de la thérapie, les symptômes s’aggraver et en dépit de cela le patient se sentir mieux, comme s’il devenait plus fort. Cela expliquerait dans une certaine mesure le sentiment d’euphorie et le déni de toute gravité souvent constaté chez l’anorexique. Vous sentez-vous menacé dans votre santé lorsque vous vous débarrassez de quelque chose qui ne vous appartient pas et vous parasite ?
Une maladie presque exclusivement féminine
La femme est davantage concernée parce qu’elle est traditionnellement chargée de nourrir les siens et que de nombreux regards pèsent sur elle. L’image qu’elle renvoie et la nourriture sont étroitement liées. Il y a aussi le refus de la féminité, de devenir une femme qui peut procréer, à l’image de la mère avec qui la relation n’a pas été concluante et dont on ne veut pas reproduire les schémas.
Il y a peut-être plus profond. Nous savons que la peur coupe l’appétit. Une femme peut avoir peur d’être abandonnée. Ce sont là encore des programmations issues de notre organisation sociale primitive. C’est ce qu’explique Laurent Daillie, auteur de « La logique du symptôme ». Dans les temps anciens, une femme abandonnée par son homme se retrouvait dans une situation critique. L’homme est le chasseur protecteur sans lequel les chances de survie sont très faibles. Pour éviter l’abandon, elle va s’accrocher obsessionnellement à son image et à son corps pour ne pas déplaire.
Le milieu de la mode est accusé de favoriser l’anorexie. Notre société fabrique-t-elle des anorexiques ?
La maigreur des mannequins représente bien le paradoxe d’une société où les gens doivent en faire toujours plus en prenant toujours moins de place et de ressources. Cela reste la partie visible de l’iceberg. L’anorexie est une maladie ancienne mais nous assistons à une explosion ces dernières décennies en Occident.
Dans un monde d’hypercommunication où chacun parle mais personne n’écoute vraiment, à quoi se raccrocher ? Nos relations sociales sont organisées autour de la compétition et du paraître. Et malgré notre évolution, nous laissons encore beaucoup de gens sur le bord de la route. Il ne faut pas s’étonner d’en voir certains adopter une quête obsessionnelle de la perfection. Parler de la société nous conduit nécessairement à nous remettre en question individuellement.
L’anorexique est « malade du monde »
Je pense qu’on peut être malade d’avoir perdu le sens de la vie. On peut même en mourir. Les anorexiques ont une sensibilité à fleur de peau. Une remarque, un regard, des messages infra-verbaux suffisent à les ébranler profondément. Du coup elles auront tendance à se protéger de la vie parce que celle-ci fait mal.
Par exemple, nous considérons la nourriture comme de la matière inerte qui vient combler notre estomac ou calmer un manque affectif. La nourriture a été vidée de son sens qui est de renouveler la vie. Lorsque nous mangeons des animaux élevés en batterie dans des conditions épouvantables, leur souffrance se retrouve dans notre assiette. Certaines personnes plus sensibles n’ont aucune envie d’ingérer un tel concentré de manque de respect de la vie.
Le regard multimillénaire de la médecine chinoise
L’être humain est animé par un souffle vital (appelé QI) qui est l’addition de trois foyers. Le premier est le bagage que nous apportons à la naissance. Il inclut tout ce qui est hérité des parents et de la famille, le vécu prénatal et le cheminement de l’âme. Il constitue un capital de départ que nous faisons fructifier notre vie durant, grâce aux deux autres foyers. Le deuxième, appelé énergie de la terre, correspond à la nourriture et ce que celle-ci nous apporte. Le troisième, l’énergie du ciel, correspond à l’air que nous respirons mais aussi à la qualité de notre environnement et de nos échanges sociaux. Ce sont nos nourritures spirituelles et subtiles.
La médecine chinoise met l’accent sur les erreurs alimentaires pour expliquer l’anorexie. Par ailleurs, elle ne semble pas différencier l’anorexie simple (perte d’appétit d’origine biologique) de l’anorexie mentale (le trouble psychiatrique). Cela n’a rien de surprenant. Toutes les manifestations du QI interagissent en permanence. Les personnes dont les énergies ancestrales marquent une sensibilité particulière peuvent réagir fortement et négativement aux énergies des aliments dénaturés, toxiques. Celles-ci peuvent réveiller certains schémas psycho-affectifs. Pour cette raison, une manifestation organique, matérielle, ne devrait jamais être ignorée ni sous-estimée.
Le système de santé semble dépassé par de telles maladies
Notre vision de la santé doit être absolument dépoussiérée. La science moderne doit renouer avec cette vision globale de l’être humain qui a guidé tant de peuples sur le chemin de la santé. Nous sommes au 21e siècle et nous disposons des connaissances scientifiques qui permettraient de mieux comprendre les relations entre le corps, l’esprit et l’environnement. Les approches thérapeutiques mettant en avant la conscience de soi et l’expression corporelle doivent être encouragées. L’art-thérapie, la sophrologie sont sur le bon chemin et devraient côtoyer les neurosciences. Quant à la physique quantique, la place qu’on lui accordera en médecine sera décisive.
Les structures de soins adaptées restent peu nombreuses. La prise en charge des TCA demande une implication et une authenticité qui font peur à beaucoup de professionnels de santé. Il manque aussi des lieux d’écoute et d’orientation concernant l’anorexie. Les médecins, souvent débordés, ont peu de temps à consacrer aux interrogations et aux angoisses des familles. C’est dans cette optique que j’ai créé récemment une association d’entraide, comme il en existe déjà plusieurs en France et qui font un boulot formidable.