Expérience de mort imminente… mais de quelle mort parle-t-on au final ?

Qu’on se le dise : les expériences de mort imminentes font couler beaucoup d’encre et engendrent beaucoup de controverses, simplement autour d’une confusion manifeste dans l’emploi de la terminologie, notamment du concept de « mort ». Petite mort, grande Mort : petite vie, grande Vie : autant de découpages que notre intelligence conceptuelle opère dans le courant de la vie.

« Alors bien sûr il m’a fallu faire un choix. Ou je faisais comme si rien ne s’était passé, comme si j’avais rêvé tout ça, de manière à pouvoir continuer de vivre en aveugle ; ou j’écoutais la réalité de ce qui se déroulait en moi, avec toutes les conséquences que cela supposait. D’ailleurs, j’y étais poussé, quelque chose s’imposait en me modifiant ; chaque jour qui passait me voyait laisser tomber une dépouille, une vieille guenille de l’être que j’étais avant l’expérience. (…) Non, il me fallait aller jusqu’au bout, pour que meure enfin l’homme ancien, pour que naisse enfin l’homme nouveau. Mais pour en faire quoi ? »

« Vous devez partir sans vêtement.
Un vêtement neuf, encore jamais vu, vous attend…
Dans ton travail aussi quitte l’ancien !
Cherche le tout nouveau,
Ne crains pas de rester sans vêtement !
Tu ne peux pas t’habiller de neuf
si tu n’ôtes pas l’ancien »

Qu’on se le dise : les expériences de mort imminentes font couler beaucoup d’encre et engendrent beaucoup de controverses, simplement autour d’une confusion manifeste dans l’emploi de la terminologie, notamment du concept de « mort ». Mais ce n’est pas tout : une bonne partie de ceux qui exploitent le filon de « l’après-vie », de la « vie après la mort » ou de la « vie après la vie » (ce qui revient au même), se servent de cette confusion pour entretenir leur propre survie en se faisant prophètes ou messagers de la mort, de ce qui nous arrivera à la fin de cette vie ; bref, de l’au-delà. Et c’est peu dire, que de signaler à quel point le commerce de la mort est juteux.

Or que disent les expérienceurs, ceux qui ont réellement vécu une de ces fameuses « expériences de mort imminentes » ? Et comment pourrions-nous utiliser un peu mieux les catégories de notre langage – cet outil à découper dans la réalité des « costards sur mesure » –  pour mieux comprendre le message qu’ils ont à nous transmettre ?

Une conception figée de la mort…

En premier lieu, il faudrait accepter que ce nous avons fondamentalement tendance à vouloir nommer d’après un concept statique (la vie, la mort, etc.) n’est toujours qu’un processus, une dynamique, quelque chose qui passe. Ce n’est que pour avoir prise sur la réalité, pour pouvoir agir sur elle et se donner l’impression d’un contrôle illusoire, que nous avons inventé les « concepts », ces formidables machines à ne pas penser, qui sont ensuite servies à toutes les sauces dans nos discussions les plus savantes.

Par exemple, le concept de « mort » est l’une de ces abstractions que l’on projette sur notre expérience, et qui nous empêche sérieusement d’en découvrir l’étendue. Qu’appelons-nous « mort » en effet ? A priori, tout le monde peut s’accorder sur le fait que ce terme désigne l’arrêt de la vie, l’arrêt de ce perpétuel mouvement qu’est la vie. C’est lorsque le mouvement respiratoire, puis le mouvement cardiaque, enfin le mouvement neuronal au sein même de notre cerveau s’arrêtent, que l’on peut constater la mort clinique puis la mort cérébrale du sujet. Enfin, la mort biologique sera définie comme l’arrêt du mouvement dans chaque cellule de notre corps : processus irréversible qui signe définitivement, si je puis m’exprimer ainsi, notre « arrêt de mort ». La mort est donc définie comme un état : c’est l’état de celui qui ne vit pas, qui ne vit plus. L’immobilité, ou encore l’inertie.

Voilà pourquoi il est si difficile d’affirmer que les expérienceurs aient pu être « morts » pendant leur expérience : ils vivaient bien, puisqu’ils étaient en mouvement (au moins au sein-même de leur conscience), et qu’ils vivaient des expériences éblouissantes ! Et ils vivaient même plus que nous, qui vivotons notre vie et en refusons parfois le mouvement, puisqu’eux se sentaient en accord total avec la vie, en pleine coïncidence avec eux-mêmes ! Comment définir autrement la Vie, pleine et entière ? L’EMI n’est-elle pas une expérience de la vie, bien plus qu’un expérience de la mort ? Voilà pourquoi j’ai proposé, dans mon ouvrage « L’expérience de la liberté intérieure », de rebaptiser ces expériences paroxystiques « Expériences de Retour à la Vie » (ERV). Je dois avouer que c’était une petite provocation à tous ces fossoyeurs de la mort, mais aussi une tentative de coller au plus près de ces expériences qui nous offrent le panorama d’une vie que nous n’osons pas nous imaginer, nous qui ne l’avons pas vécu (ou alors qui ne nous en souvenons plus…). On pourrait cependant mal interpréter mes propos, et penser que je ne fais de la vie ici-bas qu’une « petite vie », au contraire de la grande Vie qu’il serait offert aux expérienceurs de vivre. Point du tout ! Tout ceci repose encore sur une confusion conceptuelle qu’il s’agit de tenter de démystifier dans cet article.

Changeons notre manière de voir les choses. Arrêtons d’envisager la mort comme un état, mais faisons-en un processus, une dynamique, donc un passage d’un état à un autre état (ces deux-là étant toujours des fictions que nous créons pour pouvoir en parler, bien qu’ils peuvent aussi se résumer à des processus eux-mêmes). Utilisons le verbe au lieu du nominatif. Qu’est-ce que mourir, en effet ? Je pose l’hypothèse qu’il s’agit toujours de mourir à quelque chose, c’est-à-dire d’abandonner un vieux vêtement, quelque chose d’usé et qui ne sert plus, pour en revêtir un nouveau, plus apte, plus utile, plus efficace. Sur ce point, les bouddhistes nous ont devancé d’à peu près deux mille ans, eux qui définissent les « Bardos » comme des points de transition entre deux états. Comme lorsque l’on passe de la conscience diurne au sommeil (et inversement), ou que l’on subit une épreuve qui nous transforme et nous fait mourir à ce que nous étions. Ou enfin que nous quittons ce vieux vêtement qu’est notre corps, pour continuer notre évolution en tant que conscience. Ce que nous avons traduit par « Livre des morts tibétain » (le fameux « Bardo Thödol ») s’avère en réalité être le « Livre des enseignement sur les bardos », ces 7 « transitions » que l’on va nécessairement traverser tout au long de sa vie.

Rituel d’initiation de jeunes garçons au Malawi, au sein de l’ethnie Yao

Or chacun de ces « passages » est l’occasion de mourir à ce que l’on était, d’abandonner une partie de nous, afin de renaître à un état nouveau. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que dans toutes les sociétés dites « primitives » (quelle condescendance dans l’emploi de ce terme …) les rituels initiatiques organisent – symboliquement, et parfois très réellement lorsque cela tourne mal – la mort des individus à ce qu’ils étaient. Rituel de passage, de trans-formation, ou plutôt de méta-morphose. L’individu quitte son ancien corps (par exemple son corps d’enfant, celui dans lequel il se sentait encore en confiance, protégé par le poids de ses parents ou de sa tribu) pour renaître dans un nouveau corps, celui du guerrier sûr de lui et membre à part entière de la tribu. On pourrait dire qu’il ne s’agit pas d’une mort véritable, mais seulement symbolique : l’individu qui traverse l’épreuve initiatique est toujours bien vivant, et il ne meurt pas véritablement. Ce serait une grossière erreur, puisque dans certaines tribus, l’initiation signe le départ d’une vie authentiquement nouvelle, et on parle alors du nouveau-né comme s’il n’avait plus rien à voir avec l’ancien : ce sera désormais à la date anniversaire de son initiation que l’individu, tous les ans, pourra fêter sa naissance.

Comment ne pas voir là une analogie flagrante avec les récits d’expérienceurs ? Comment ne pas écouter ceux qui affirment être morts à leur ancienne vie, et qui comptabilisent leurs années d’existence à partir de la date de leur expérience, plutôt que de leur naissance biologique ? Comment ne pas voir que les changements – disons plutôt les bouleversements – qui affectent les expérienceurs, témoignent de cette mort à ce qu’ils étaient, accompagnée de cette renaissance à une nouvelle vie ? L’EMI peut donc être vue comme une véritable initiation, certainement beaucoup plus profonde et boulversante que beaucoup des initiations pratiquées depuis la nuit des temps. Et ceci car la modification de l’état de conscience, qui accompagne toute expérience initiatique, est beaucoup plus profonde, beaucoup plus déstabilisante, dans l’EMI, puisque l’abandon des catégories dessinées auparavant par la conscience est beaucoup plus large. Et c’est bien en ce sens que l’accompagnement du « nouveau-né » qu’est l’expérienceur se doit d’être plus proximal, plus bienveillant et sans aucun jugement. Il s’agit, au sens propre, d’aider la personne à renaître à la vie, c’est-à-dire qu’il s’agit de l’aider à accepter la révolution qui s’est opérée en elle lors de l’expérience.

Chaque crise est une révolution, une petite mort !

C’est ici qu’il serait intéressant de se pencher, à nouveaux frais, sur ce que l’on appelle une « révolution ». Étymologiquement, il est dur de ne pas s’apercevoir qu’il s’agit d’un retour à l’évolution, c’est-à-dire d’une crise qui nous traverse et qui emporte tout ce qui nous empêchait de continuer à évoluer, tout ce qui nous bloquait dans une attitude statique et sclérosante : bref tout ce qui nous empêchait de vivre. La révolution, sous forme de crise (pensons au concept grec de « crisis » : l’instant critique où il faut juger, se juger, parce qu’on ne peut plus continuer comme avant), balaie tout cela d’un revers de la main. Il n’est plus possible de reproduire l’ancien, de se conforter paisiblement dans son inertie, de vivoter. Véritable tempête intérieure, l’expérience de mort imminente est bien une révolution, et il pourrait être intéressant de la voir comme une occasion donnée à la personne de sortir de l’impasse dans laquelle elle s’était elle-même enfermée à un moment de sa vie.

Ici, l’analyse Jungienne de la maladie ou de la crise peut nous apporter un éclairage alternatif sur le phénomène. La maladie (et notamment la maladie psychique, telle la névrose ou la psychose), affirme Jung, ne peut s’expliquer de manière simplement mécanique, à savoir comme la conséquence nécessaire d’un ensemble de causes corporelles ou psychiques (j’ai mangé tel aliment auquel je suis allergique, j’ai donc eu tel symptôme pathologique). Elle pourrait trouver une forme d’explication plus aboutie dans le sens qu’elle revêt dans la vie de la personne, c’est-à-dire dans sa fonction, dans sa signification et dans la direction qu’elle donne à la personne. La maladie serait alors à la fois un symptôme du déséquilibre, un signal que quelque chose ne peut plus continuer ainsi ; et une occasion de changement, une chance de changer nos positions et de nous remettre enfin en route. Bref : d’évoluer.

Mais pourquoi a-t-on besoin d’une telle crise pour accepter le changement ? Parce que, aux dires de Jung, la conscience est « misonéique » : elle résiste naturellement au changement par peur de l’inconnu, de la nouveauté, de l’inédit. Elle préférera mille fois reproduire l’acquis, et ce même si cet acquis est ce qui l’enfonce dans l’inertie, dans le déséquilibre et dans la souffrance. La névrose, cette maladie psychique qui fait vaciller l’impression de contrôle de la conscience, est alors une occasion pour l’individu de se remettre en question et d’accepter de mourir à ce qu’il était, ou plutôt à ce qu’il se disait qu’il était. Déjà, dans le rêve, des messages nous arrivent, que nous n’écoutons souvent pas assez. Tant pis : la vie frappe plus fort et nous offre une occasion un peu plus… pressante : l’allergie, ou encore la maladie… Nous ne voulons toujours pas écouter ? L’accident est là pour nous forcer un peu la main, pour nous bousculer un peu plus. Il est étonnant de constater à quel point notre liberté ne tient qu’à un fil, quand on comprend que lorsque nous résistons au mouvement irrépressible de la vie (mouvement qui se nomme « évolution »), la vie nous force un peu la main en nous encourageant à choisir le changement plutôt que l’inertie réconfortante. Et plus nous résistons, plus nous perdons notre libre-arbitre, puisque la vie se fait plus dure, plus oppressante.

Existe-t-il une Vie après la Mort ?

Mais de quelle « vie » parle-t-on ici ? Ne s’agit-il pas de simples croyances anthropomorphiques, qui font peser sur la vie – simple processus mécanique de transformation permanente de toute chose – le poids des représentations humaines ? Que nous ayons parfois l’intention de faire telle ou telle chose, d’accord ; mais n’allons pas projeter sur la « vie » de telles intentions, et en faire quelque chose d’intentionnel, de personnifié, de « conscient » ! Loin de moi l’idée d’imputer des intentions à la vie, en en faisant quelque chose d’extérieur à nous. C’est bien de notre vie que je parle, c’est-à-dire du mouvement de notre conscience, qui se traduit en acte par l’ensemble des possibilités que nous nous offrons à chaque instant (et cela même si, paradoxalement, nous n’en sommes pas toujours totalement conscients), de vivre des expériences. Notre vie, la Vie, quelle importance au final ? Pourquoi vouloir décider si notre conscience est différente du mouvement-même de la vie, ou bien si elle lui est consubstantielle ? Tout ceci n’est que croyance, dans un sens ou dans l’autre : affirmer que notre conscience est individuelle, coupée de l’élan vital qui nous a mis au monde et qui nous transporte à chaque instant, est tout aussi indémontrable que le contraire. Je choisis, pour ma part, de croire que les découpages faits par mon intelligence s’effacent devant l’ampleur de la vie : je choisis donc de croire que ma vie et la vie ne font qu’un ; et que ma conscience dépasse très certainement et très largement les bornes de ce que je peux appréhender de moi à chaque instant.

Quel parallèle faire entre cette analyse très hypothétique, et le vécu des EMI ? L’expérience paroxystique ne peut certes pas être expliquée en terme de « maladie » : elle n’est pas un état pathologique, bien au contraire. L’individu n’a certainement jamais (et n’aura peut-être plus jamais) eu l’occasion de se sentir aussi libre, autant en accord avec la vie et avec lui-même, aussi rassemblé que dans l’expérience. Mais il y a un point commun évident : c’est la notion de crise.

Si on considère l’EMI comme une occasion offerte à la personne (ou que la personne s’offre…) de retrouver le mouvement de la vie, de révolutionner sa vie, ou encore de renaître à la vie de manière authentique, alors l’EMI n’est qu’une forme parmi d’autres de stratagème que la vie peut mettre en place pour nous bousculer et nous pousser en avant. Mais quelle ampleur revêt le changement, dans une telle expérience ! Quelle mort n’avons-nous pas à vivre, quand nous quittons notre corps pour entrer dans un état de conscience incommensurable avec tout ce que nous avons pu vivre auparavant ! En réalité, la seule mort que nous ayons pu vivre auparavant, et qui revêt une telle intensité, c’est peut-être notre naissance elle-même (ou plutôt ce que nous appelons notre naissance, oubliant ainsi toutes les naissances que nous pouvons vivre ensuite ou que nous avons vécu, auparavant, dans notre vie).

En effet, si l’on accepte d’ouvrir les yeux sur les découvertes étonnantes d’un psychiatre tchèque, Stanislav Grof, qui a mené pendant des années des expériences en état modifié de conscience pour amener ses patients à opérer une régression dans leur vie passée, à la recherche des traumatismes qui les ont marqués, on s’aperçoit que l’événement fondamentalement traumatisant pour tout individu, c’est la naissance originelle. Non seulement, dit Grof, nous avons tous gardé un souvenir (bien caché au fond de notre inconscient) de cet événement « tragique » ; mais nous avons gardé avec lui l’idée de notre propre mort, de la mort à ce que nous étions, auparavant, dans le ventre de notre mère (un fœtus en symbiose avec l’être qui le nourrit physiquement et psychiquement : le paradis, quoi !). Cette première naissance est donc d’après Grof notre première initiation, certes conditionnant notre manière d’appréhender l’existence, mais en même temps nous démontrant quelle énergie nous avons pu développer pour surmonter une expérience de la mort, notre première expérience de la mort. Voilà pourquoi le nouveau-né, après une telle épreuve, a besoin d’un soin et d’un réconfort tout spéciaux, de la part de son entourage le plus proche, le plus aimant. Ce que l’expérienceur, au retour de son initiation, ne rencontre pas toujours, très loin de là, puisque c’est plutôt l’incompréhension, le doute et la peur déguisés en mépris qui s’agitent autour de cet extra – terrestre.

Mais ce que l’on oublie aussi très souvent, c’est le potentiel d’apprentissage que peut recevoir celui qui accompagne cette renaissance, cette « réincarnation », tout comme ce n’est pas pour rien que nous nommons « sage-femmes » ceux et celles qui accompagnent le nouveau-né dans la révolution qu’il vit à sa naissance. On pourrait, ici, faire un parallèle évident avec les enseignements que reçoivent ceux qui, telle Elisabeth Kübler Ross, acceptent d’accompagner les personnes mourantes dans les dernières étapes de la vie, juste au moment où elles entreprennent de mourir à ce qu’elles étaient, et qu’elles réapprennent ce qu’elles savaient depuis leur naissance mais qu’elles avaient consciencieusement oublié : à savoir le formidable élan de vie qui les pousse en avant, qui les pousse au changement. Accepter ce qui vient, inconditionnellement. Ne pas résister. Vivre pleinement l’instant. Autant d’enseignements que les « nouveaux-nés », les « mourants » et les expérienceurs –  qui vivent donc les deux phases de ce même processus – peuvent nous apporter, si nous voulons bien les écouter. Et voici cet enseignement, d’après moi : en refusant la mort qui accompagne chaque changement dans notre vie, c’est l’Enfant en nous, avide de découvertes et d’expériences, que nous tuons en réalité. Et en nous enfermant toujours un peu plus dans l’inertie de nos habitudes sécurisantes, c’est le mouvement de la vie que nous refusons. Or qu’est-ce que l’inerte, si ce n’est le « mort », ce qui n’est plus habité par la vie ?

Renaître à la vie n’est pas si facile…

Mais voilà, tout n’est pas si rose pour l’expérienceur qui renaît à la vie. Et premièrement, parce qu’il y a une chose qu’il aurait bien voulu abandonner, qu’il a d’ailleurs joyeusement abandonné lors de sa « décorporation » : son propre corps. C’est ici que le terme « vêtement usé » prend tout son sens pour celui qui a vécu la « délivrance » de laisser son corps et de continuer la route, indifférent, sans lui. Il faut dire que, bien souvent, ce corps n’est plus très fonctionnel, étant sérieusement abîmé par l’épreuve qui a occasionné l’expérience. Il faut dire aussi que parfois on s’y accroche encore, par peur de l’inconnu, par peur de l’anéantissement, par refus de laisser derrière soi cette identification de tant d’années. C’est peut-être là qu’il faudrait comprendre le caractère négatif, voire proprement infernal, de certaines expériences : le refus d’abandonner ce qui pourtant n’est plus, engendre toujours l’état d’esprit que l’on projette ensuite sur son environnement, dans une sorte de scénario de film d’horreur. Toujours est-il que pour celui qui accepte le changement, le vêtement ne sert plus, il n’y a donc plus rien à faire de lui ; et c’est souvent avec joie qu’il l’abandonne et qu’il meurt à son propre corps.

Oui mais il faut le réinvestir, ce corps, malgré son sale état, malgré le sentiment d’enfermement que l’on ressent quand on l’enfile à nouveau comme un gant (mais alors un gant tout rapiécé, étroit et humide…), malgré l’impression de retour en arrière, de régression, d’involution. Et  comprendre que la mort que l’on a vécue ne comprenait pas l’abandon de notre corps, que celui-ci peut encore servir et qu’on devra l’utiliser à nouveau, pour faire du nouveau justement, c’est tout bonnement insupportable, du moins dans les premiers temps. Il faudra s’y habituer, il faudra travailler ce corps et le faire à nouveau sien pour poursuivre sa propre évolution. Si l’EMI a donc quelque chose de proximal avec ce que l’on nomme « la mort » (la dernière en cette vie incarnée en tout cas), c’est donc dans ce sentiment d’abandon joyeux de ce que nous quittons ; sentiment proprement incompréhensible pour ceux qui restent, et qui souffrent la perte de l’être cher, qui refusent bien souvent de mourir à la relation qu’ils aimaient tant. Quant à celui qui part, si du moins il accepte d’abandonner le passé, donc de s’abandonner au présent, à l’instant présent, la mort ne doit pas représenter un tel effroi pour lui.

Et c’est peut-être là l’une des raisons pour lesquelles la grande majorité des expérienceurs n’ont absolument plus peur de la mort. La question n’est pas de savoir s’ils ont vécu ou non un « au-delà » (au sens trop usité d’un autre monde, d’une vie après la vie ou encore d’un paradis céleste tel que peut le décrire la religion) et en sont revenus. La question n’est même pas de savoir s’ils sont, ou non, morts (toujours dans le sens usuel et grossier que l’on donne à la mort). Il semble évident que ce qu’ils ont vécu est bien au-delà de la conscience perceptive usuelle, bien au-delà des mots et des concepts, bien au-delà de toute expérience « terrestre ». Quand la conscience fait unité avec la vie, quand les frontières que place notre intelligence entre le soi et le Tout s’effacent, c’est bien au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, qu’il faut placer l’expérience. Mais ce qu’emportent avec eux les expérienceurs, à mon humble avis, c’est justement d’avoir fait une authentique expérience de la mort (dans le sens que j’ai tenté de développer ici), c’est-à-dire de l’abandon, du lâcher-prise, et par là-même de la joie de retrouver le mouvement de la vie qui continue quand on accepte de mourir à ce que l’on était, quand on accepte de vivre vraiment.

Conclusion…

Petite mort, grande Mort : petite vie, grande Vie : autant de découpages que notre intelligence conceptuelle opère dans le courant de la vie. Autant de fossés qu’elle creuse entre nous et la vie, entre notre conscience et ce que l’on vit. En réalité seule la vie existe, pourrions-nous dire, puisque ce que nous nommons « mort » n’est qu’un processus vital, un processus qui fait partie du processus vital. Il s’agit d’abandonner de ce qui ne sert plus, ce qui est trop usé, ce qui empêche l’évolution. Ou, pour le dire autrement, il s’agit de quitter l’arrêt, de reprendre le mouvement, d’en finir avec l’inertie qui nous fait « mourir à petit feu ». Mort lente, refus de la vie, jour après jour renouvelée ; ou bien mort brutale, accident, formidable occasion d’abandonner enfin cette mort lente et de coller à nouveau au mouvement de la vie : que voulons-nous choisir ? Comment voulons-nous vivre ? A nous de le décider, sachant bien que le choix est peut-être déjà fait, bien malgré nous, et souvent contre nos aspirations les plus superficielles : c’est le choix de la vie.

« Avoir le regard de l’aigle des montagnes,
c’est voir au-dessous de soi un paysage où les
frontières que nous imaginions exister entre la
vie et la mort se confondent et se dissipent.
(…) Ce que, dans notre ignorance, nous appelons
« vie » et ce que, dans notre ignorance, nous
appelons « mort » ne sont que les aspects
différents de cette plénitude et de ce mouvement.
(…) Ce qui fait le caractère unique et la puissance
des enseignements des bardos, c’est qu’en faisant
la pleine lumière sur le véritable processus de
la mort, ils nous révèlent, par là-même,
le véritable processus de la vie. »
Sogyal Rinpoché – Le livre tibétain de la vie et de la mort
Patrick Sorrel
Philothérapeute et praticien en respiration profonde - Grenoble (Isère) France
Facilitateur d'apprentissage et enseignant en philosophie
Tél.: 06 10 99 89 34
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Commentaires (2)
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  • roselyne Revillon Allais

    Quelle profondeur, quelle analyse!
    Beaucoup apprécié ce texte qui est dénué de préjugé, de fausses interprétations et ramène le phénomène EMI à sa réalité, ni plus, ni moins. Pas de débordement personnel mais une démontration fine et ciselée de Ce Qui Est.
    Merci.

    • Patrick

      Merci Roselyne, du fond du cœur !