sur la fin des temps, autant que par ses pratiques, notamment en ce qui concerne
l’admission de nouveaux membres. Ce sont les manuscrits de la mer Morte,
découverts en 1947, qui nous en apprennent le plus sur ce mouvement.
Jésus lui-même aurait été l’un d’eux mais la Bible, pourtant, ne les mentionne jamais. Parmi leurs traits distinctifs, figurent en bonne place l’ésotérisme et l’attente de la venue d’un messie. Encore aujourd’hui, leur identité reste nimbée de mystère, à se demander pourquoi le romancier Dan Brown, auteur du sulfureux Da Vinci Code, ne leur a pas consacré un ouvrage. Eux, ce sont les Esséniens, un mouvement juif datant du tournant de notre ère. Bienvenue, lecteur, dans leur monde.
Afin de lever le voile sur le mystère des Esséniens, nous avons interrogé l’historien Michael Langlois, bibliste au Centre de recherche français à Jérusalem. Qui étaient donc les Esséniens ? Pour en savoir plus, direction la Judée, au tournant de notre ère. La Judée (aujourd’hui en Israël/Palestine) est justement une région qui intéresse particulièrement l’historien juif Flavius Josèphe (v. 37- v. 100). Retenez ce nom.
Le pouvoir des Sadducéens
Flavius Josèphe est bien connu des chrétiens pour une chose en particulier : il est l’un des seuls auteurs du début de notre ère à mentionner le Jésus historique. Mais revenons aux Esséniens. Auteur de la fin du premier siècle, Flavius Josèphe consacre deux œuvres à la Judée, La Guerre des Juifs et les Antiquités judaïques. « Dans le portrait qu’il dresse de la société judéenne, Flavius Josèphe écrit que le judaïsme y est divisé en trois mouvements principaux : les Sadducéens, les Pharisiens, et les Esséniens, note Michael Langlois. Les Esséniens sont donc une mouvance juive au tournant de notre ère. »
Qu’est-ce qui distingue ces trois branches du judaïsme ? « Les Sadducéens sont proches du pouvoir sacerdotal, le pouvoir des prêtres, celui du temple de Jérusalem, explique Michael Langlois. C’est à l’époque un pouvoir très fort – on pourrait sans doute comparer l’envergure du grand prêtre de Jérusalem avec celle du pape à Rome. Les Sadducéens ont aussi pour caractéristique de ne reconnaître que cinq livres dans le “canon” juif. Il s’agit du Pentateuque, ou Torah de Moïse. »
Esséniens et Pharisiens
Mais le pouvoir du temple n’est pas exempt de critiques au sein du judaïsme… « Comme le protestantisme aujourd’hui, le judaïsme d’alors est fragmenté, souligne Michael Langlois. Pharisiens et Esséniens n’ont de cesse de dénoncer les abus de pouvoir, la complaisance ou l’enrichissement des prêtres Sadducéens. Pharisiens et Esséniens ont aussi en commun de reconnaître d’autres livres que le Pentateuque, comme par exemple les livres prophétiques, le livre de Josué, le livre des Rois ou encore les Psaumes. »
Ce n’est pas tout ce qui rapproche ces deux mouvements. « Contrairement aux Sadducéens, Pharisiens et Esséniens croient en la résurrection corporelle ainsi qu’en la venue du jugement dernier. Plus précisément, ils croient en la fin des temps, qui sera suivie selon eux d’un jugement et d’une résurrection pour les élus. Ils attendent la venue du messie. »
Célibat et vie en communauté
Il est plus difficile, compte-tenu de la rareté des sources qui nous sont parvenues, de définir ce qui différencie clairement les Esséniens et les pharisiens. « Précisons une chose : les sources dont nous disposons insistent bien sur le fait que le mouvement essénien n’est pas homogène, il semble qu’il ait été lui-même composé de différentes branches, précise Michael Langlois. Ce qui caractérise les Esséniens, par rapport aux pharisiens, c’est que certains d’entre eux vont prôner une vie de pureté, de détachement, d’ascèse même. Certains groupes décident de vivre reclus, en communautés de célibataires. Ces derniers se détachent alors de leurs biens matériels, en font don et partent vivre en communauté, où ils se mettent au service les uns des autres. »
Les Esséniens, par ailleurs, ont un intérêt marqué pour l’ésotérisme. Ils pratiquent l’astrologie, la divination, la prophétie ou encore l’angélologie. Cette dimension ésotérique a été récupérée par plusieurs mouvements depuis, y compris de nos jours.
Un mouvement baptiste
Les Esséniens, poursuit Michael Langlois, ont en commun une dernière pratique. « Ils sont, à proprement parler, un mouvement baptiste, dans le sens où ils pratiquent le baptême. Et le baptême, au sens étymologique, c’est une immersion. Les sources anciennes nous disent qu’ils pratiquent un bain quotidien, une sorte de rite de purification, hérité des ablutions rituelles que l’on trouve déjà dans l’Ancien Testament. L’archéologie a retrouvé la trace de leurs bains, appelés baptistères ou mikvés en hébreu. »
Critiques du pouvoir du temple, adeptes d’ésotérisme et vivant parfois en communautés isolées, voilà qui étaient les Esséniens. Mais les sources sont si rares à leur sujet que l’on est soudain pris d’un doute : est-on sûr qu’ils ont vraiment existé ?
Les sources à la loupe
Contemporains de Jésus, les Esséniens vivaient en Judée au tournant de notre ère. Ils constituent, avec les Sadducéens et les pharisiens, l’une des trois grandes mouvances du judaïsme d’alors, qui a vu naître en son sein le christianisme. Nous venons de voir ce qui les caractérisait. Mais d’où vient ce que nous savons sur eux ?
Une précision s’impose d’emblée : les sources anciennes sont rares à leur sujet. Et plus on remonte dans le temps, plus elles s’amenuisent. Rares, cependant, ne signifie pas inexistantes. Trois noms, en particulier, se démarquent : Philon d’Alexandrie, Flavius Josèphe et Pline l’ancien. Ces trois auteurs sont les premiers à nommer les Esséniens.
Philon d’Alexandrie et Flavius Josèphe
Ces trois auteurs, Michael Langlois les connaît bien. Chercheur au Centre de recherche français à Jérusalem, il est l’un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de la Bible. « Le premier à mentionner les Esséniens est Philon d’Alexandrie (entre 29 et 13 avant J.-C.- 50 après J.-C.), rapporte-t-il. Ce Juif égyptien du tout début de notre ère est philosophe, exégète ; on lui doit de nombreux commentaires sur le Pentateuque notamment. »
Le deuxième auteur à mentionner les Esséniens est juif lui aussi. Il se nomme Flavius Josèphe (v. 37-v. 100). « Il écrit à la fin du premier siècle et, dans La Guerre des Juifs et les Antiquités judaïques, il décrit par le menu la société de la Judée. C’est lui qui distingue les trois grands mouvements du judaïsme d’alors : les Sadducéens, les pharisiens et les Esséniens. Ce qui est intéressant avec Flavius Josèphe, c’est qu’il affirme avoir lui-même fréquenté ces derniers. Il s’agit donc d’informations de première main, ce qui est relativement rare à l’époque. Les historiens de l’Antiquité tendent en effet à compiler différentes sources. Quand ils écrivent quelque chose, bien souvent, c’est qu’ils l’ont lue ailleurs. Or ce n’est pas le cas ici. »
Pline l’ancien et la « nation solitaire » essénienne
Le troisième auteur du premier siècle à faire mention des Esséniens n’est pas juif, mais romain. Pline l’ancien (23-79), dans son Histoire naturelle, leur consacre une notice. « Pline l’ancien écrit alors une “géographie”, un genre littéraire en vogue à l’époque. Il s’agit d’emmener le lecteur en voyage dans une région donnée : on décrit sa géographie, sa culture, sa société, sa religion, etc. Dans sa notice consacrée à la Judée, Pline l’ancien cite l’existence des Esséniens, “nation solitaire, singulière par-dessus toutes les autres, sans femme, sans amour, sans argent, vivant dans la société des palmiers”. Il les situe sur les bords de la mer Morte, dans les environs d’Ein Gedi. »
Philon d’Alexandrie, Flavius Josèphe, Pline l’ancien. Trois auteurs du premier siècle de notre ère aux parcours de vie différents, et qui tous mentionnent les Esséniens. « Je ne vois aucune raison de douter de leur existence, dans la mesure où nous disposons de ces trois sources anciennes, souligne Michael Langlois. Les historiens, bien souvent, sont contraints de travailler avec une source unique, ce qui pose bien plus de difficultés. Par ailleurs, ce que nous disent ces auteurs des Esséniens n’a rien d’invraisemblable ou de rocambolesque, c’est tout à fait crédible. Et enfin, il est encore question des Esséniens dans des textes des siècles suivants. »
Un regard seulement extérieur
Nulle raison de douter de l’existence historique des Esséniens, en somme. Mais le flou qui les entoure ne s’en trouve pas pour autant éclairci. Car des Esséniens, on ne dispose aujourd’hui que d’un regard extérieur.
« Il ne nous est pas parvenu d’ouvrage dans lequel les Esséniens parleraient d’eux-mêmes, expliqueraient qui ils sont, où ils vivent ou quelles sont leurs croyances… Ceci à moins de prendre en compte les manuscrits de la mer Morte, qui ont sans doute été écrits en partie par des Esséniens. Oui mais voilà, ces manuscrits n’emploient à aucun endroit le terme “essénien”. Ce n’est pas tout : le mot “essénien” lui-même nous vient du grec. On ignore cependant quel mot désignait les Esséniens en araméen et en hébreu, les deux langues principales parlées et écrites en Judée au tournant de notre ère. Plusieurs hypothèses ont été formées, mais le mystère demeure… »
Esséniens : une bien curieuse étymologie
De mouvance juive, les Esséniens vivaient en Judée au tournant de notre ère. Mais l’origine du mot “Esséniens” lui-même reste une énigme.
Alors que nous entamons le troisième volet de cette série consacrée aux Esséniens, nous commençons à mieux les connaître. Ce que nous savons sur eux, toutefois, nous le tenons de sources externes, principalement de notices rédigées par trois hommes : Philon d’Alexandrie, Flavius Josèphe et Pline l’ancien. Nous ne disposons pas à ce jour de texte écrit par les Esséniens eux-mêmes, un texte qui détaillerait leurs pratiques et leurs croyances. Ce n’est pas tout. L’origine même du mot “Esséniens” reste un mystère.
Trois orthographes pour un même groupe
« Deux mille ans après, nous ne sommes toujours pas sûrs d’où vient le mot “Esséniens” ! » Ce sujet, Michael Langlois le connaît bien. Historien et bibliste au Centre de recherche français à Jérusalem, il a notamment travaillé sur les manuscrits de la mer Morte, dont on soupçonne qu’ils ont été en bonne partie rédigés par des Esséniens. Dans les sources anciennes, le mot “Esséniens” n’apparaît qu’en grec et en latin. Ce qui n’est pas sans conséquence.
« Ce terme est manifestement une translitération grecque d’un mot hébreu ou araméen, les deux autres langues alors utilisées dans les manuscrits en Palestine au tournant de notre ère, décrypte Michael Langlois. Le problème, c’est qu’on ne connaît pas ce fameux mot en hébreu ou en araméen… On ne l’a identifié nulle part, même dans les manuscrits de la mer Morte. »
Plusieurs étymologies possibles
La traduction grecque du mot “Esséniens” est elle-même approximative, poursuit le chercheur. « Dans les textes anciens en grec, on dispose de trois orthographes pour désigner les Esséniens : essenoi, essaioi et ossaioi. Qu’il y ait plusieurs graphies pour un même terme, c’est chose assez commune dans les sources grecques et latines, surtout lorsqu’il s’agit du passage d’une langue à une autre. La difficulté, c’est plutôt de savoir si ces termes très proches qualifient bien la même chose, à savoir les Esséniens. »
Michael Langlois poursuit : « Étant donné que l’on ignore l’origine de ces mots grecs, on ne peut que tenter de supposer quel mot hébreu ou araméen a donné le mot “Esséniens”. Et comme il existe en hébreu et en araméen de nombreux sons qui n’existent pas en grec, cela ouvre grand le champ des possibles. »
Les Esséniens, des thérapeutes ?
Une autre hypothèse voit dans « Esséniens » le dérivé de la racine araméenne asa, qui évoque la guérison. « Dans cette vision des choses, les Esséniens seraient des guérisseurs, des thérapeutes, dans le sens où ils effectueraient des guérisons miraculeuses. Lors de la période antique, la maîtrise des plantes médicinales allait souvent de pair avec la pratique de la magie ou de la divination. Dans le livre d’Hénoch, un livre apocryphe que l’on associe volontiers à la littérature essénienne, il est écrit que l’usage de ces plantes a été révélé aux femmes par les anges déchus. La guérison, dans cette optique, est une connaissance révélée. Or, nous savons que les Esséniens se distinguaient aussi par leur penchant pour l’ésotérisme. Voilà pourquoi on a proposé cette racine “guérir”, d’autant plus que Philon d’Alexandrie, qui mentionne les Esséniens dans ses travaux, nous parle ailleurs d’un autre groupe, les “thérapeutes”. Ces derniers, qui vivent en Égypte, ont selon le philosophe des pratiques communautaires proches de celles qu’il attribue aux Esséniens. Cela mène bien sûr à la question suivante : et si le mot “thérapeutes”, en grec, était un synonyme d’“Esséniens” ? »
Rester prudent
Aussi séduisantes soient-elles, ces hypothèses restent des hypothèses. « Tant que l’on n’aura pas trouvé le mot qui désigne les Esséniens dans un texte hébreu ou araméen, on ne pourra pas trancher définitivement la question, tempère Michael Langlois. Il faut donc rester prudent. De fait, cette question reste quelque peu mystérieuse… »
Nous voici prévenus. Mais tant qu’à rester dans le mystère, en voici un autre : Jésus lui-même était-il essénien ?
Note
Le mot « secte » est utilisé dans cet article dans la plénitude de son sens étymologique, et non pas dans le sens péjoratif généralement utilisé…
Étymologiquement parlant, le mot « secte » renvoie au latin
« secta déclinaison de sequi signifiant « suivre », c’est-à-dire des « émanations de religions déjà établies » ou un « groupement autour d’un maître à penser », ils ne sont pas tous des sectes au sens de « groupement religieux dangereux ».
Par exemple :
- Groupe de personnes partageant la même idéologie, la même philosophie, un même enseignement…
- Vu sous cet angle, Jésus, un essénien qui s’est coupé de la tradition juive en son temps et autour de qui des apôtres se sont regroupés pour le suivre formait donc une « secte ».
- Tout ceci pour dire que ce mot a existé de tout temps, mais n’avait pas la connotation négative qu’il a de nos jours. Pourquoi ?