La Respiration Holotropique, une cartographie de l’inconscient

Deuxième partie
Dans le précédent article, j’ai tenté de montrer le rapport qu’entretient la respiration holotropique avec le cycle « normal » d’une respiration équilibrée.

Dans ce second article, je vais détailler toutes les étapes que l’on peut traverser pendant une séance de respiration profonde, et qui nous aident à coup sûr à retrouver un équilibre qui a été rendu instable par les épreuves de la vie. Je me réfèrerais assez fréquemment à l’inventeur de la respiration holotropique, Stanislav Grof : ce psychiatre tchèque qui a remplacé l’usage des psychédéliques dans ses expériences de transe par cette méthode puissante et inédite, à la suite de l’interdiction du LSD aux Etats-Unis dans les années 70.

Une « cartographie de l’inconscient » ?

Ce qui m’est apparu progressivement en apprenant à « respirer », c’est que tout ce que l’on vit dans ce processus possède un sens et une fonction qui, s’ils ne sont pas toujours perçus (et peu importe !), n’en sont pas moins présents. Grof lui-même avouait que tout se passe comme si durant le processus une « sorte de radar sondait le système et détectait les contenus possédant la charge émotionnelle la plus forte ».

Il existe donc une infinie variété d’expériences intérieures durant une séance, mais si on fait abstraction des variables extérieures qui peuvent parasiter l’exploration intérieure (et même ces variables, les bruits externes ou les rencontres plus ou moins heureuses avec d’autres respirants, peuvent faire partie du processus que l’on a à vivre !), on obtient une variété plus limitée d’expériences, qui peuvent se ranger en quatre catégories. Grof les appelle parfois des « domaines », ou en encore des « niveaux » ou des « secteurs » qui possèdent chacun des caractéristiques spécifiques : la « barrière sensorielle », le domaine « biographique », le domaine « périnatal » et le domaine « transpersonnel ».

Ces catégories apparaissent parfois comme des « niveaux » d’approfondissement de l’exploration de l’inconscient, allant du niveau le plus superficiel (la perception souvent visuelle de motifs esthétiques) au niveau le plus profond, celui qui dépasse l’identité personnelle, pour donner des contenus « trans-personnels », en passant par le souvenir d’événements personnels (niveau biographique) et par la reviviscence, souvent très précise, des différentes phases de la naissance (niveau périnatal). Mais Grof précise lui-même qu’il n’y a pas de hiérarchie dans ces secteurs visités, et qu’il n’y a pas d’ordre de passage prioritaire (allant du plus superficiel au plus profond, dans une sorte de chronologie initiatique) : ces différentes expériences apparaissent toujours comme étant nécessaires au sujet à un moment de son existence, ce dont on s’aperçoit facilement par les effets thérapeutiques qu’elles ont sur lui, sur le court ou le long terme.

Toutefois, il faut remarquer que ces expériences ne sont pas toujours agréables pour la personne qui les vit, notamment lorsqu’un matériau pénible, lié à un ou plusieurs traumatismes passés, réapparaît dans le champ de la conscience. Dans ce cas, la séance peut même être des plus terrifiantes, et cela indépendamment de la capacité de lâcher prise de la personne.

1) La barrière sensorielle
Quels sont donc les contenus et les dynamiques de l’inconscient, qui se révèlent à la conscience lors des phases de transe psychique ? En premier lieu, le niveau de la « barrière sensorielle » est d’après Grof le niveau le plus récurrent (à tout stade de l’expérience, et quel que soit le nombre d’expériences antérieures) : il peut s’agir d’impressions visuelles (formes géométriques, architectures virtuelles complexes, parfois même des paysages d’une grande beauté), auditives (tintements de cloches, bourdonnements diffus, musiques « célestes » ou autres)1.

Mais dans tous les cas, il s’agit, aux yeux de Grof, du niveau inconscient le plus superficiel, d’un point de vue thérapeutique : il ne semble pas provoquer un ré-équilibrage psychique ou s’accompagner d’une évolution significative, du point de vue des valeurs ou des attitudes du patient face à sa problématique. C’est pourquoi Grof l’envisage comme une « barrière » qu’il faut dépasser pour pouvoir atteindre d’autres niveaux de conscience modifiée.

Le caractère esthétique et souvent intriguant de ces perceptions internes pourrait en effet pousser le sujet à réduire l’inconscient à un simple dynamisme créateur de sensations, visuelles ou auditives, agréables et imaginatives, ce que la littérature psychédélique a parfois contribué parfois à entériner ; et ce qui semble avoir marqué les imaginaires, dès que l’on parle de quête de vision en état de transe. Mais, plus nuisible encore, il est très facile de choisir de se réfugier dans ce niveau, somme toute agréable et peu contraignant, pour ne pas affronter des niveaux plus profonds et forcément plus éprouvants de l’inconscient personnel.

2) Auto-biographie…
En effet, à la différence du domaine sensoriel, le domaine biographique s’accompagne souvent de sensations douloureuses et de manifestations physiques plus intenses : on peut revivre, non d’un point de vue seulement symbolique ou fictionnel, mais dans une véritable régression historique, la série d’événements biographiques qui se présentent à nous. Parfois je suis la victime, parfois l’acteur, parfois je suis les deux côtés, indissociablement, de l’action. Mais dans la plupart des cas ce sont des événements traumatisants qui sont revécus, ce qui explique que les individus ayant eu une enfance ou une vie plutôt calme vivent peu de séquences biographiques.

Ce domaine de l’inconscient est celui qui a été le mieux compris par la psychanalyse classique – aux dires de Grof – et c’est ce qui explique l’orientation négative que cette science a donné à l’inconscient en général, généralisant à l’ensemble de l’inconscient ce qui n’en est qu’une manifestation parcellaire2. Et en effet les souvenirs qui sont revécus, à ce niveau de la transe, représentent une charge émotionnelle négative forte, puisqu’il s’agit majoritairement de traumatismes refoulés ou de conflits psychiques irrésolus, à un moment où le sujet n’avait pas la force psychique suffisante pour lutter contre le caractère potentiellement destructeur de l’événement3.

Revivre l’événement et l’affronter, avec les armes psychologiques dont dispose maintenant l’individu, permet de le dénouer d’une manière plus satisfaisante et plus efficace. C’est alors que l’on se rend compte que l’on dispose de qualités suffisantes pour résoudre le problème irrésolu, ou encore que l’on avait pris la responsabilité à l’époque d’un complexe psychique qui ne nous appartenait pas, mais qui n’était qu’une projection des problématiques propres à un parent. Et ceci peut suffire pour me libérer du fardeau d’un événement parasite, contaminant l’énergie psychique donc j’ai pourtant besoin pour m’orienter de manière équilibrée dans l’existence.

3) Revivre sa naissance
Une question toute simple se pose alors : jusqu’où peuvent remonter les souvenirs traumatisants qui ressortent durant la séance de respiration holotropique ? Y a-t-il une limite biologique ou psychique à la remémoration ? Ce qu’a abondamment montré Grof à partir de toutes les expériences qu’il a faites et menées, et ce que confirme chaque nouveau stage de respiration holotropique, c’est que la mémoire traumatique remonte bien souvent à la naissance-même de l’individu : c’est ce que Grof appelle le domaine « périnatal » (troisième « niveau »). La naissance concentre en effet, à elle seule, un ensemble impressionnant de douleurs physiques, de sentiments d’angoisse voire de désespoir, de situations périlleuses pour l’intégrité du corps, et d’épreuves à affronter.

On pourrait objecter ici qu’il ne faut pas imputer au nouveau-né, à peine formé, les sentiments et les émotions d’un adulte constitué : il est très probable que la situation soit à peine vécue consciemment par le nouveau-né, a fortiori pour le fœtus. Cette objection serait largement plausible, si les séances de respiration ne montraient pas des séquences entières de reviviscence de l’événement « naissance », d’une manière fort détaillée, s’accompagnant d’éléments physiologiques (cordon ombilical enroulé autour du cou, présentation par le siège, utilisation de forceps, etc.) que l’individu lui-même ignorait, du moins dans sa mémoire consciente.

Les scènes vécues dans le domaine périnatal sont souvent d’une intensité émotionnelle impressionnante, s’accompagnant aussi bien d’éléments dramaturgiques (sentiments d’écrasement, de lutte pour la vie, agressions et tortures divers, etc.) que de symptômes physiques marqués (étouffement, suffocation, vomissements, cris bestiaux et défécation) qui permettent de juger de l’intensité de la charge émotionnelle et de la lutte pour la survie, qui se jouent à la naissance.

Malgré la diversité des situations revécues, Grof a quand même réussi à distinguer quatre « étapes » (dont les frontières temporelles ne sont pas clairement distinguées, mais dont les orientations psychologiques sont assez spécifiques) qui schématisent les diverses situations par lesquelles peuvent passer les patients qui traversent une séquence périnatale. Grof a appelé ces phases : « matrices périnatales fondamentales »4 (MPF). Il est intéressant de détailler ces matrices, car chacun des éléments les composant peut être vécu comme une scène autonome, sans aucun rapport significatif conscient avec la naissance de la personne, selon ses dires…

Sentiment océanique…

La MPF I est la phase pendant laquelle le fœtus vit encore en symbiose avec sa mère, à l’abri dans un milieu aquatique dans lequel il est protégé de maintes agressions du monde extérieur. La MPF I est donc une séquence qui s’accompagne en général de sentiments et d’émotions très positifs (unité symbiotique, satisfaction des besoins, etc.). La reviviscence de cette phase peut donc occasionner toute une gamme d’impressions océaniques agréables (sentiment d’être un organisme marin, vivant dans un milieu aqueux dans lequel les contraintes terrestres comme la gravité n’existent pas), de visions de divers scènes mythologiques paradisiaques (l’Eden, le paradis perdu, etc.) ou encore d’intenses expériences « mystiques » d’union avec toute chose ou de conscience cosmique et universelle.

Toutefois, si la grossesse a été troublée par des événements biologiques ou environnementaux traumatisants (comme par exemple un accident, une tentative d’avortement, des disputes répétées ou un empoisonnement alimentaire, etc.), alors la personne pourra plutôt vivre des scènes de périls aquatiques (contaminations, pollution, noyade, monstres sous-marins, etc.) ou encore des scènes mythologiques de démons s’immisçant dans l’environnement paisible, etc.

En réalité, nulle grossesse ne se déroule sans aucun problème : les scènes renvoyant à la MPF I sont donc souvent ambiguës et duelles. Le sujet peut revivre des instants mystiques intenses, s’accompagnant de l’impression d’être hors du temps, dans un éternel présent, suivis immédiatement « d’attaques toxiques » dangereuses ou de périls gigantesques ; avant de vivre à nouveau des sentiments océaniques. Il faut remarquer, enfin, que dans les derniers instants de la grossesse, le confort du fœtus diminue grandement, par manque de place, et surtout sous l’effet des contractions utérines qui deviennent de plus en plus fréquentes, et qui annoncent le début imminent de la deuxième phase.

Le « sans -issue ».

La MPF II est caractérisée, selon Grof, par la situation que vit le fœtus au début du travail de la mère, c’est-à-dire lorsque les contractions deviennent régulières et oppressantes pour le fœtus, alors que le col de l’utérus n’est pas suffisamment ouvert pour permettre le passage du fœtus. Cette situation représente donc un stress immense pour l’organisme, qui ressent des pressions de toute part, un sentiment d’écrasement, d’oppression et de compression, sans pouvoir trouver une issue au sort qu’il est en train de subir. L’aspect temporel objectif de cette phase (plus ou moins longue selon les cas) ne compte plus pour le fœtus, qui peut avoir l’impression d’être dans une situation désespérée, le temps ayant considérablement ralenti ou s’étant même arrêté, ce qui lui donne un sentiment de « sans fin », ou encore d’éternité infernale.

Du point de vue symbolique, l’individu qui revit cette MPF peut se sentir littéralement en Enfer, agressé de toutes parts, sans avoir la possibilité de réagir ou de se sortir de cette situation. Cela peut aussi se traduire par un emprisonnement forcé dans un institut horrifiant, une prison, un asile d’aliénés, un camp de concentration, etc. Ou encore dans le ventre d’un monstre terrifiant, au centre d’un cyclone ou d’un tourbillon cosmique… Il est intéressant de remarquer que le sentiment global d’angoisse fondamentale et atemporelle, caractérisant cette expérience infernale, se situe aux antipodes du sentiment atemporel mystique, durant lequel le temps s’est pourtant aussi arrêté pour le sujet. Ces deux expériences, l’enfer et le paradis, ressemblent fort à ce qu’Huxley appela « le ciel et l’enfer »5 pour désigner les deux pôles extrêmes des expériences psychédéliques qu’il a lui-même vécues.

La lutte pour la vie

La MPF III correspond à ce que nous avons en général tendance à appeler « naissance » : c’est la phase pendant laquelle, le col de l’utérus étant suffisamment ouvert, les contractions vont avoir pour effet de pousser douloureusement le fœtus hors du corps maternel. Les compressions vont donc s’intensifier pour l’organisme, qui va devoir se déformer suffisamment (notamment au niveau de la tête) pour traverser la filière « pelvigénitale » : il ressent alors des décharges électriques (et nerveuses) qui témoignent de la violence du processus et de l’intensité des forces en jeu.

La grande différence avec la MPF II, dans laquelle deux forces semblaient lutter en sens inverse dans un antagonisme insoluble, c’est que la situation n’est plus vécue ici comme désespérée. Dans le MPF III, la mère et l’enfant luttent dans le même sens (la sortie du fœtus) et la situation acquiert un caractère dynamique et hautement périlleux. Le fœtus lutte littéralement pour sa survie. C’est pour ainsi dire sa première expérience intime de lutte contre la mort. Il peut ressentir des sensations d’étouffement, d’écrasement, d’agression, et il entre en contact avec diverses matières biologiques, dont il pourra conserver un souvenir étonnamment précis.

Au niveau symbolique, cette phase est très variée, suivant le déroulement des événements biologiques, mais la caractéristique centrale est l’impression d’une lutte titanesque contre des éléments déchaînés (naturels, comme le vent, l’eau, le feu, etc. ou mythologiques, comme les différents monstres que peuvent affronter les héros, les titans, les dieux, etc.). Ou encore une guerre sanglante entre des peuples, une épopée dangereuse à la conquête d’un trésor, la traversée du Purgatoire ou le Jugement Dernier, etc. Mais la dimension biologique et l’agression physique peuvent se transformer symboliquement en scènes de torture, en rituels sataniques, démoniaques, sexuels, scatologiques6, ou même sadomasochistes7 ; à tel point que le sujet a parfois honte de raconter ce qu’il a pu vivre. Ce qui semble constant, c’est que le sujet dit avoir vécu une intensité de souffrance qu’il ne pouvait même pas imaginer, et qui dépasse largement ce qu’il pensait pouvoir supporter de son vivant.

Ensuite, l’élément « feu » semble omniprésent dans la MPF III, soit dans des scènes d’explosion volcaniques ou d’orages solaires, soit dans une fusion qui consume toutes les parties du corps et/ou de l’esprit, et qui peut être vécue comme le feu purificateur dont l’individu (s’il lui a survécu) ressortira nettoyé et purifié (ce qui opère en général la transition à la MPF IV). Enfin, la caractéristique commune à ces expériences est le sentiment d’avoir affronté un danger impressionnant et d’en être sorti victorieux (mais non sans peine ou dommage) : cela rappelle la fameuse « initiation » prévue pour les cérémonies de passage dans certaines sociétés, initiation dans laquelle le novice affronte symboliquement – et parfois très concrètement – l’épreuve de la « mort-renaissance ».

Un monde inconnu…

La « re-naissance », justement, est l’aboutissement de cette lutte pour la vie, et c’est aussi la quatrième phase du processus de naissance. Il peut paraître paradoxal de parler de « re-naissance » alors qu’il s’agit ici de la naissance originelle du bébé ? Pourtant, si l’on considère les trois précédentes phases, qui ont marqué l’organisme physiquement et psychiquement, et se sont achevées dans un sentiment de lutte atroce voire de mort inéluctable, on peut imaginer que la libération représente, pour le nouveau-né, non pas le premier épisode, mais l’épilogue d’un processus éminemment douloureux et périlleux de lutte contre la mort.

La MPF IV combine donc ces deux sentiments contradictoires et paradoxaux : à la fois de sécurité et d’angoisse, de bien-être et d’agression. En effet, cette phase correspond à l’aboutissement d’un changement de milieu qui, s’il s’est fait dans la lutte et la souffrance, représente maintenant à la foi une perte et une découverte. Perte du milieu sécurisant intra-utérin, perte des repères spatio-temporels, aveuglement par des lumières intenses (du moins dans la salle d’opération), agression auditive et certainement olfactive, coupure du cordon ombilical, enfin premières respirations, dans un déploiement pulmonaire qui se fait dans la douleur. Il faut s’imaginer (si l’on peut) ce que cela doit faire pour le nouveau-né de mourir à ce qu’il a été, pour re-naître à sa nouvelle condition : toutes les étapes de changements significatifs que nous vivrons par la suite n’égalerons pas la violence de ce changement initial, que le nouveau-né peut vivre avec un sentiment d’angoisse, qui se caractérise dans les récits par la peur d’une menace imminente, gigantesque (c’est peut-être la première expérience de la peur de la mort ou, plus précisément, de la peur du royaume de l’inconnu). Il s’agit donc bien d’une « re-naissance ».

Au niveau spirituel et symbolique, la MPF IV se caractérise donc par des scènes entremêlées d’angoisse et d’apaisement, soit dans une succession temporelle, soit de manière concomitante. Cela peut être l’expérience de la purification, la reviviscence de la mort d’incarnations passées, ou encore de la mort symbolique de l’ego, dont de nombreuses religions ont fait l’étape ultime. Cela peut être aussi l’expérience de la lumière, parfois froide et aveuglante, parfois chaude et rassurante. Cela peut enfin aller de la simple rencontre jusqu’à l’identification à des entités spirituelles, des esprits ou divers personnages des religions et mythologies8

Le domaine du transpersonnel

Dans ces 4 étapes liées à la naissance, on a pu remarquer que souvent les événements remémorés sont associés à des scènes symboliques voire mystiques, semblant marqués par la culture originelle de la personne qui les vit. Ces données sont facilement identifiables, pour un spécialiste des religions et des mythologies, par la ressemblance incroyable qu’elles entretiennent avec différents éléments figuratifs des mythes fondateurs de la culture. Mais ce qui est plus étonnant, c’est que bien souvent l’individu n’est absolument pas doté d’une culture religieuse, anthropologique, ou tout simplement d’une conscience de la ressemblance entre ce qu’il décrit et les mythes auxquels ces descriptions renvoient. C’est la raison pour laquelle Grof choisira d’appeler ces expériences « transpersonnelles », en ce qu’elles dépassent l’expérience personnelle (empirique ou culturelle) de l’individu.

Or les expériences transpersonnelles vécues en respiration holotropique ne se limitent pas à ces éléments proches des mythes religieux : il existe aussi un grand nombre d’expériences dans lesquelles la personne dépasse son individualité, et se plonge dans une autre conscience individuelle, humaine, animale, végétale et même parfois cellulaire9. Il est clair que les données actuelles de la science, dans son orientation résolument matérialiste (qui, avouons-le, a fait ses preuves au niveau technique depuis quelques décennies), ne permettent pas d’imaginer cette identification empathique autrement que comme une création fictionnelle de l’inconscient, dont la finalité apparaît pour l’instant obscure.

Que l’on puisse s’identifier à un autre individu humain, cela paraît logiquement envisageable ; bien que défiant le postulat fondamental du solipsisme de la conscience (chaque conscience, produit psychique d’un organisme biologique, est une bulle inaccessible aux autres consciences). Mais que l’on puisse s’identifier à un animal comme un poisson, un insecte ou un mollusque – dont le niveau de conscience semble très hypothétique – cela défie toutes les lois de la vraisemblance. Inutile de dire dans ce cas que la plongée consciente dans l’univers d’une cellule, ou encore dans la mémoire cellulaire d’un organisme, défient l’imagination la plus fertile.

Pourtant, c’est ce qu’affirment relativement fréquemment des personnes ayant vécu une phase transcendantale : et certains patients en phase terminale de cancer se mettent même en devoir, aux dires de Grof, de stopper par des moyens psychosomatiques improbables le développement de leurs propres cellules cancéreuses, après les avoir localisées de manière très précise (et juste) dans leur organisme interne. Cela mérite à tout le moins un début de réflexion.

Une histoire de limites…

Ce qui est certain, c’est que l’identification à une autre conscience, imaginaire ou réelle, ne laisse jamais indemne l’univers interne du sujet. Celui-ci jugera que cette « expansion de conscience », qui lui a permis de relativiser la perspective unilatérale avec laquelle il aborde autrui (humains ou animaux), l’a amené à une com-préhension et à une acceptation des comportements ou des opinions différentes de la sienne. Et cette compréhension est bien différente de la « tolérance » classique, qui consiste à faire avec ce que l’on ne peut ni rejeter ni vraiment accepter. Un tel bouleversement des croyances et opinions apparaît parfois comme une « libération » vis-à-vis de l’univers clôt et sécurisant dans lequel une conscience peut s’enfermer, pour construire son identité propre. À ce niveau, il apparaît justifié de parler de séquence « transpersonnelle ».

Transgénéalogie…

Enfin, Grof place parmi la catégorie des séquences transpersonnelles toutes les expériences durant lesquelles la conscience biographique de l’individu remonte à une époque temporelle antérieure à sa propre naissance, voire à sa propre existence individuelle. Cette « remontée temporelle » peut être assez générale et collective, l’individu remontant la lignée biologique, généalogique, culturelle, raciale ou ethnique dont il provient : il peut alors prendre conscience que les problématiques qu’il affronte sont l’héritage de sa lignée familiale (la psychanalyse appellera « fantômes » ces constellations familiales qui sont déterminantes de génération en génération), de ses ancêtres historiques, ou encore de sa lignée phylogénétique. Mais la « régression » temporelle peut aussi concerner le rapport entre l’existence individuelle présente et son héritage « spirituel » : le sujet se vit alors comme une « âme », qui possède une identité à travers le temps et déborde de toute part le niveau corporel dans lequel elle est « incarnée ».

L’âme peut, par exemple, revivre son « incarnation », c’est-à-dire sa plongée dans la matière constituant le corps qu’elle va habiter. Cela peut-être, au contraire, l’expérience de la « désincarnation », c’est-à-dire le moment où la conscience quitte le corps à l’issue d’une incarnation antérieure. Cela peut être enfin l’expérience de la phase transitoire entre deux incarnations (en général riche de rencontres avec des entités spirituelles), ou encore le souvenir d’événements significativement importants advenus dans une précédente incarnation.

Il est important de noter, dans une perspective pragmatique, que la liaison entre la charge émotionnelle de ce qui apparaît comme un « souvenir » et la réalité objective à laquelle ce souvenir renvoie est tout à fait hypothétique. En d’autres termes, rien ne nous permet d’affirmer objectivement que ces expériences subjectives renvoient à des éléments réellement vécus par le sujet dans une précédente incarnation ; même si certains éléments de concordance sont parfois troublants.

Ce qui importe par contre, c’est la liaison significative que le sujet est capable de faire entre tel ou tel élément d’une incarnation passée ou d’un choix d’incarnation et telle ou telle problématique qu’il rencontre dans cette vie. En effet, il apparaît à l’analyse que les séquences d’événements antérieurs à la naissance peuvent trouver une répercussion profonde dans les problématiques de la vie personnelle, amenant même parfois le sujet à affirmer qu’il comprend, à la lueur de ce qu’il dit avoir vécu dans une précédente incarnation, la raison pour laquelle il souffre de telle ou telle problématique dans sa vie.

Que conclure de toute cette analyse ?

Dans le précédent article, nous avons montré que la respiration holotropique m’aide à retrouver un équilibre au niveau de mon cycle de respiration. Car si je n’arrive pas assez à expirer, si j’ai tendance à tout retenir en moi ; ou au contraire si j’ai du mal à retrouver mon souffle, si j’ai l’impression de ne jamais inspirer à fond, alors je suis dans une forme d’asphyxie qui me paralyse dans ce qui ne devrait être que l’une des phases de mon cycle. Et je bloque le mouvement de la vie, en moi.

Tout cela est certes bien trop fréquent, nous faisant penser que nos pathologies respiratoires sont « normales ». Non ! Ce n’est pas normal, et ça ne doit jamais le devenir. La respiration holotropique peut me permettre de retrouver du souffle, ou au contraire de lâcher un peu d’air, un peu de lest, quand je suis bloqué dans l’une ou l’autre des phases de mon cycle. Il s’agit bien d’une authentique « respiration » du point de vue de mon équilibre.

Comment tout cela se passe-t-il ? Ce que j’ai voulu montrer dans ce second article, c’est qu’une séance de respiration holotropique est un véritable voyage, qui va m’emmener revisiter des pans entiers de ma vie qui n’ont pas été digérés, ou alors qui ont été refoulés, mais jamais traversés et intégrés. Ce peuvent être des souvenirs biographiques plus ou moins proches, mais ce peuvent être aussi des événements tournant autour de ma naissance.

Pour Grof, ma naissance semble être le noyau autour duquel se sont cristallisées toutes les autres expériences ultérieures, venant acter ce que j’avais incomplètement vécu dans cette première épreuve. Enfin, ce peuvent être des expériences antérieures à ma naissance, voire avant ma conception, si du moins il est légitime de donner une temporalité à un espace qui transcende l’incarnation. Ce sont ces expériences étranges mais signifiantes que Grof a choisi d’appeler « transpersonnelles », donnant leur nom à ce que l’on a ensuite appelé « psychologie transpersonnelle ».

Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est qu’un tel voyage n’est jamais une croisière touristique, encore moins la traversée d’un long fleuve tranquille. Il est nécessaire de savoir pourquoi l’on veut faire le voyage, et il faut s’attendre à des remous. Mais, au bout du périple, c’est toujours magnifique d’assister à ce nouveau souffle qui s’installe, parfois timidement, et parfois à pleins poumons. Une authentique respiration.

Notes
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  1. Il peut s’agir de « modèles kaléidoscopiques dynamiques, de configurations évoquant des mandalas, des arabesques, des nefs de cathédrales gothiques, des plafonds de mosquées et des motifs évoquant de merveilleuses enluminures médiévales ou des tapis orientaux. » S. Grof, Psychologie transpersonnelle, p. 79 de l’édition du roche
  2. Et ceci apparaît plutôt normal quand on sait, avec Jung, que « les contenus de l’inconscient que l’analyse libère et qui passent dans le conscient sont, en règle générale, tout d’abord des contenus désagréables, qui comme tels ont été refoulés : souvenirs, désirs, tendances, projets, etc. [Ce n’est qu’ensuite] que l’inconscient nous donne aussi une chance, par ses communications et par les allusions imagées qu’il nous offre : il est aussi capable de nous communiquer ce qu’en toute logique, nous ne pouvons savoir. Pensons aux phénomènes de synchronicité, aux rêves prémonitoires et aux pressentiments ! » (Carl Gustav Jung, Dialectique du moi et de l’inconscient)
  3. A ce titre, il faut d’ailleurs remarquer que l’incidence subjective de l’événement a plus de poids que l’événement objectif lui-même : un patient peut souffrir d’angoisses et d’insécurité parce qu’il a été battu et enfermé par ses parents dans une cave pendant son enfance, ou encore parce qu’il a été traumatisé, bébé, par le sentiment d’impuissance et de dégoût quand, laissé seul sans surveillance dans un pré lors des moissons, une vache est venue lui lécher le visage (Royaumes de l’inconscient, p. 79 de l’édition du rocher)
  4. S. Grof, Psychologie transpersonnelle, p. 89 de l’édition du roche.
  5. Heaven and Hell est d’ailleurs le titre d’un ouvrage d’A. Huxley dans lequel il tente de distinguer les deux pôles antagonistes de l’expérience psychédélique.
  6. Grof explique ce point par le contact fréquent que le nouveau-né a avec des matières fécales ou autres durant le passage de la filière pelvigénitale: il est en effet assez naturel que les efforts fournis par la mère, et le relâchement de la tension musculaire qui leur succèdent, s’accompagnent de défécation, d’urine, ainsi que d’une quantité abondante de sang intra-utérin.
  7. Il faut noter pour éclaircir ce point que face à l’intensité de la douleur qu’il subit et à l’énergie physique et psychique qu’il déploie pour surmonter cette épreuve, le sujet la revivant développe très fréquemment des symbolisations hautement sadomasochistes, s’identifiant simultanément aux victimes de tortures d’une cruauté affolante (tels que les perversions sadiques de divers personnages mythiques comme César Borgia, Vlad Tepes de Transylvanie, ou encore Elisabeth Bathory qui adorait se baigner dans le sang des jeunes vierges qu’elle assassinait) et à leur bourreau. D’après Grof (Royaumes de l’inconscient, p. 151), beaucoup disent avoir compris une des origines de déviances sadiques ou sexuelles dans l’inconscient humain, ce qui, bien entendu, ne justifie absolument pas de tels actes.
  8. Grof cite, dans le domaine des rencontres qu’il vaudrait mieux éviter : « Moloch, Shiva, Huitzilopochtli, Kali, Coatlicue » ; dans le domaine des rencontres spirituelles : « la Vierge Marie, Isis, Lakshmi, Parvati, Héra ou Cybèle ». Mais le sujet peut aussi vivre une identification à des personnages sacrifiés ou mortifiés, tels que « le Christ, Osiris, Adonis, Dionysos », etc.
  9. La notion de « fantôme » désigne en psychanalyse ce complexe inconscient dont chaque nouvelle génération hérite de la part des précédentes, et ce jusqu’à ce qu’un membre de la famille parvienne à le dévoiler et le résoudre. « Le fantôme transgénérationnel est donc une structure psychique émotionnelle résultant d’un traumatisme. Il semble qu’elle soit “expulsée” par l’ancêtre qui n’a pas pu la métaboliser, la dépasser, la transcender. Certains auteurs parlent de “patate chaude”, je préfère évoquer l’image d’une “grenade dégoupillée” : elle peut être transmise de génération en génération sans faire de dégâts visibles jusqu’à ce qu’elle éclate sous la forme de phénomènes pathologiques incompréhensibles » (Bruno Clavier, Les fantômes familiaux, Psychanalyse transgénérationnelle, Payot, 2014). Pour résoudre ce genre de problématiques héritées, la méthode des « constellations familiales » est une méthode de thérapie familiale transgénérationnelle fondée sur la mise au jour de l’inconscient familial par le biais de jeux de rôles et de psychodrames qui auraient le pouvoir de résoudre les conflits.
Patrick Sorrel
Philothérapeute et praticien en respiration profonde - Grenoble (Isère) France
Facilitateur d'apprentissage et enseignant en philosophie
Tél.: 06 10 99 89 34
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