Une « poignée de champ », c’est ce qui se passe quand vous sentez un membre fantôme et
que ce membre fantôme vous sent, au même endroit et au même moment.
Qu’est-ce qu’une poignée de champ
Dans la photo ci-contre, la même poignée de champ est désignée encore plus précisément, du bout de leur index… !
Je vous laisse méditer sur ces images. Elles vont sans doute vous faire venir à l’esprit plein de questions et pleins d’idées.
Et maintenant je vais vous raconter comment tout a commencé !
Le 26 août 2003 à Montréal, je travaillais pour un Spa urbain et c’était la fête dans la rue St Laurent. Je débutais dans le domaine de la Massothérapie et je voulais me prouver que le massage sur chaise ne valait rien. Je m’étais mis dans les pires conditions, en me disant : si ça marche dans ces conditions-là, ça va marcher en entreprise. Au milieu des passants, un monsieur en chaise roulante s’est mis dans la file d’attente. Lorsque son tour est arrivé, il m’a demandé un massage de 20 mn.
Il lui manquait ses deux jambes au-dessous du genou. Je n’avais jamais massé de personne amputée. J’ai commencé par faire avec lui un bilan de santé pour savoir, entre autres, s’il y avait une contre-indication à ce massage. Puis, comme « tout allait bien », j’ai commencé le massage de détente qu’il m’avait demandé. Au bout de quelques minutes arrive sa question : « Puis qu’est-ce que tu fais pour les membres fantômes ? J’ai des douleurs fantômes dans les deux, depuis l’amputation ». Je lui réponds que je n’ai rien appris à l’École dans ce domaine, mais que je peux faire un test probablement utile : j’approche ma main de son ex-mollet gauche pour voir si je sens son membre fantôme.
Je voulais simplement tester si je sentais son membre fantôme… et voilà que je découvre que son membre fantôme est sensible, très sensible. Tout se passe comme s’il était une espèce d’organe sensoriel en interaction avec son environnement !
En fait, je connaissais déjà un cas de sensation tactile provoquée… sans toucher la peau. Je pratiquais le Taïchi Chuan depuis des années. J’avais appris à sentir entre mes paumes de mains ce qu’on appelle le Chi. Les yeux fermés, quand je passais ma main droite 10 à 15 cm au-dessus de mon bras gauche, je pouvais sentir vraiment le passage de ma main sur mon avant-bras. Et je pouvais sentir la réciproque : mon avant-bras sous ma main droite. Cette sensation ressemble très fort à une sensation tactile très légère. Elle est bel et bien perceptible des deux bords, même s’il n’y a aucun contact de peau à peau.
Je commence donc le massage en tâtant l’air dans le prolongement de son moignon. La sensation tactile se maintient pour moi comme pour lui. Sans réfléchir, je lui dis que je vais pouvoir lui indiquer où commence sa peau fantôme. Ça le fait rire. J’approche ma main de son ex-mollet comme si j’étais sûr de mon coup. Et quand je lui dis : « D’après ce que je sens, ta peau commence là ! ». Il me dit : ‘’C’t’en plein ça !’’
Constatant que moi, je sens son membre fantôme avec mes mains et que lui, il sent mes mains avec son membre fantôme, je lui dis : « On est en business !’’.
Je fais alors, dans l’air, un massage Shiatsu traditionnel comme m’avait appris mon Maître : « Quand vous sentez une petite résistance dans l’air, vous vous arrêtez et vous attendez que quelque chose se passe ». À un moment donné, j’ai l’impression très nette que mon travail est fini. Ça a pris environ 5 minutes. Je m’arrête et je lui dis : « Et puis, comment ça va cette jambe fantôme ? » D’une voix étonnée, il me dit : « Je n’ai plus mal ». J’ai été aussi étonné que lui.
Nous avons pris rendez-vous pour une deuxième séance de massage, à son hôpital. Il voulait que je m’occupe de son deuxième membre fantôme. Lorsque je suis arrivé dans le prolongement de son moignon, j’ai écouté avec mes mains. J’ai été attentif aux endroits où ma main était comme freinée… et j’ai attendu que ma sensation change. Ce deuxième massage a eu le même effet positif sur la douleur fantôme que le premier.
Je dois dire qu’entre les deux séances, j’avais un peu réfléchi à ce cas pas banal. Je m’étais interrogé sur ce que ce monsieur était capable de sentir avec son membre fantôme. Pouvait-il sentir autre chose que ma main ? Après le massage, je lui ai donc proposé de faire toute une série de tests pour vérifier avec lui ses sensations. Il était bien d’accord et bien ouvert à l’expérience.
J’ai déposé des objets l’un après l’autre sur son pied fantôme. Et à chaque fois je lui ai demandé ce qu’il sentait. Une orange, un pack de glace, un petit linge sec, un petit linge mouillé, du papier de verre et une boule en marbre poli. Pouvait-il, avec les yeux fermés, en utilisant uniquement son membre fantôme sentir la présence, la texture, la température mais aussi la forme de ces objets ? Il a très bien senti la forme, la température, le mouillé et le sec, le rugueux et le lisse. Et quand j’ai pris un petit cure-dent en bois et que j’ai fait le geste de le piquer sur son mollet, il a réagi … et il m’a dit que cela lui avait fait mal !
J’ai fait aussi un autre test : je voulais savoir s’il était capable de sentir le sol avec ses pieds fantômes. Je lui ai demandé de déposer ses pieds fantômes sur le sol en fermant les yeux et de me décrire ses sensations. Il m’a dit que son pied gauche était au croisement de quatre carreaux. Effectivement, à la verticale de son moignon, il y avait un croisement de quatre carreaux par terre.
Je dois dire que j’ai eu de la chance : les autres personnes amputées que j’ai rencontrées ensuite n’avaient pas toute sa finesse de perception.
C’est à partir de ces deux premiers massages que tout a commencé. J’ai élargi ensuite mon champ de travail à la massothérapie des organes fantômes (mastectomie, hystérectomie, etc.).
Ce serait un peu long de vous raconter tout ce qui s’est passé depuis 2003, alors je vais résumer vite en répondant à cette question de fond : la « poignée de champ » est-elle « réelle » ?
La poignée de champ est-elle réelle ?
Depuis, j’ai constaté que toutes les personnes auxquelles j’ai proposé cette expérience avaient été enchantées. Elles s’étaient senties respectées. Le fait d’offrir ma main à sentir à leur main fantôme était un geste qu’elles trouvaient chaleureux et symbolique. La sensation partagée était agréable. L’une d’elles me l’a décrite comme « la rencontre entre le réel et la conscience ».
C’est cette rencontre entre deux champs de conscience appartenant à deux personnes différentes que j’ai appelé la « poignée de champ ».
Cette prise de conscience, par chacun, d’une sensation et d’une émotion partagée, née en dehors du corps, me fascine encore 12 ans plus tard !
Vous avez dit « champ de conscience » ?
Pour la physique contemporaine, un champ c’est une région de l’espace dans laquelle s’exercent des interactions.
La deuxième raison, c’est que le mot « fantôme » ne convient pas vraiment. Il nous pousse dans le domaine de l’inobservable. Il nous pousse aussi dans les bras de l’ésotérisme. Or, les interactions entre champs de conscience sont observables. Elles le sont dans le corps et plus précisément dans le système nerveux.
Déjà, plusieurs articles scientifiques montrent que des zones spécifiques du cortex moteur et des zones spécifiques du cortex somato-sensoriel entrent en activité lorsque les personnes amputées font quelque chose avec leur membre fantôme. Des images de Résonance Magnétique fonctionnelle montrent par exemple que les régions corticales reliées à la main connaissent un afflux de sang oxygéné lorsqu’une personne amputée effleure son visage avec son membre fantôme ( Khateb et coll., 2009). Tamar Makin montre que les régions motrices présentent une activité tout à fait reconnaissable quand une personne amputée lève ou abaisse son membre fantôme (Makin et coll., 2013).
Les sensations fantômes ont un substrat physiologique qui est bien identifié. Ces sensations ne sont pas des illusions. Elles ne sont pas dues à une hallucination, comme on le croyait à une époque (pas si vieille !), où l’on ne disposait pas d’appareils d’imagerie médicale capables de montrer les activités cérébrales en temps réel.
Je préfère parler de « champ de conscience » plutôt que de « champ d’énergie ». Car on ne sait pas à quel type d’énergie correspond la conscience. Tout ce que l’on sait, c’est que les activités mentales que l’on est capable de faire avec un champ de conscience qui a perdu sa partie de corps, laissent des traces dans des régions corticales connues.
Les personnes amputées peuvent nous montrer clairement, et à répétition, que ces activités conscientes ont lieu 1) en dehors de leur corps, 2) avec la participation de leur cerveau.
Toute poignée de main entre mains fantômes génère des sensations tactiles, motrices et proprioceptives correspondant effectivement au geste traditionnel de se serrer la main.
Explorons sans attendre
Je veux faire des tests expérimentaux sur les poignées de champs. Je voudrais avoir des images d’IRM fonctionnelle de personnes amputées qui se donnent des poignées de mains fantômes. Comment faire pour tester deux personnes amputées qui veulent se serrer la main fantôme tout en ayant le corp engagé dans une machine de Résonance Magnétique nucléaire fonctionnelle ? On ne trouve jamais deux machines d’IRM côte à côte dans la même pièce !
Pour notre part, nous n’allons pas attendre que la nième génération d’IRM soit moins chère et moins volumineuse. En utilisant deux casques munis d’électrodes (EEG), nous allons tester si les sensations tactiles reliées au partage volontaire et conscient d’une poignée de champ sont corrélées avec des ondes cérébrales spécifiques. Nous allons demander à des personnes amputées d’un membre supérieur de se serrer la main fantôme. Et nous verrons bien comment leurs cerveaux réagissent. Nous comparerons les ondes cérébrales de ces « poignées de champs » avec les ondes cérébrales générées lors des poignées de mains effectuées entre leurs membres résiduels. Les tracés seront-ils pareils ? Seront-ils différents ? Nous vérifierons également quand se produisent les ondes cérébrales. Cette question m’intéresse au plus haut point.
Je me sens dans la droite ligne des travaux du Dr Penfied quand je travaille avec des patients confiants, volontaires et curieux, désireux de comprendre ce qui se passe en eux au point de prendre le risque de revivre les sensations qui les animent. Je me sens également dans la droite ligne des travaux de Benjamin Libet quand je veux comparer le moment où deviennent conscientes les sensations tactiles de la poignée de champ et le moment où apparaissent les ondes cérébrales sensorielles.
Les deux derniers ouvrages de ces grands expérimentateurs ont été récemment réédités. Il est curieux de constater qu’ils sont parvenus tous les deux, à la fin de leur vie, à mettre en doute le credo matérialiste qui postule que c’est le cerveau est à l’origine des activités conscientes.
Il est temps que démarrent les études qui porteront sur des activités du champ de conscience, observées à travers les traces qu’elles laissent dans le cerveau. Et plus précisément, sur les sensations que vivent les personnes amputées lorsqu’elles font des poignées de champ avec ces régions de leur champ de conscience qui ont perdu leur portion de corps.
Je suis tenté de vous laisser sur deux citations qui font songer….
- « Throughout my own scientific career I, like other scientists, have struggled to prove that the brain accounts for the mind. But perhaps the time has come when we may profitably consider the evidence as it stands, and ask the question… Can the mind be explained by what is now known about the brain ? ».
Dr Wilder Penfield, Mystery of the Mind, 1975.
Ce Livre a été réédité par Princeton University Press en janvier 2015.
- « Les études en Neuropsychologie, les changements du flux sanguin cérébral régional (FSCr), la TEP, l’IRM fonctionnelle ne nous fournissent des renseignements que sur les zones, dans le cerveau, nous permettant de relier les activités des cellules nerveuses à diverses opérations mentales. Elles ne nous disent en revanche pas quels types d’activités cellulaires (les changements dans des structures localisées, les fréquences d’ondes et ainsi de suite) sont impliqués. (…) Les changements importants en rapport avec l’activité des cellules nerveuses peuvent se produire en quelques millisecondes; mais les effets de l’énergie métabolique engagés par ces activités neuronales peuvent prendre plusieurs secondes pour produire les effets qui sont mesurables par ces techniques. Ainsi n’est-il pas possible de répondre à des questions telles que : l’intention consciente précède-t-elle ou succède-t-elle au déclenchement cérébral d’un acte volontaire ? », p.47.
Benjamin Libet, L’esprit au-delà des neurones, Éditions Dervy, 2012.
Bravo pour cette découverte et cette mise en évidence des champs morpho-génétiques…car à mon avis ça rejoint cette notion magnifique de la vie-conscience qui s’exprime en se concrétisant dans la densité à travers une forme matérialisée et même si la matérialité peut se modifier, le champ de conscience-informé dans l’espace éthérique, lui, demeure jusqu’à la mort…