Bonne nouvelle pour l’intolérance

Le six février dernier a vu fleurir un peu partout des initiatives artistiques, politiques et culturelles, regroupées sous l’égide de la Journée mondiale de lutte contre l’excision. De Paris à Bamako, de conférence-concert en cérémonie publique, le sujet semble mobiliser de plus en plus de monde, que ce soit dans les pays d’Afrique les plus touchés par la pratique de l’excision, ou en Europe.

L’excision illégale

Depuis longtemps, la plupart des gouvernements ont déclaré l’excision illégale – ce qui n’a pas jugulé le phénomène, loin de là. Des pays comme le Mali ou l’Egypte oscillent entre 80 et 95 % de femmes excisées. En France vivraient au moins 30 000 femmes ayant subi les mêmes mutilations, et au Canada 6 000. La difficulté de la lutte contre l’excision résiderait dans trois caractéristiques particulières : d’une part, le rite est reconduit par des populations croyantes qui le pratiquent “apparemment” dans le cadre de leur foi, alors que l’excision n’est pas recommandée par l’Islam.

D’autre part, les acteurs de cette lutte se heurtent le plus souvent au refus des femmes d’abandonner la tradition, alors même qu’elles en sont les premières victimes. Ce sont elles qui le reproduisent, nombre de villages comptent des exciseuses pour qui c’est l’unique source de revenu. Enfin, la prise de conscience mondiale du problème de l’excision est régulièrement perçue comme une nouvelle forme d’impérialisme – les discours reconduisent le stéréotype du “blanc” qui ne comprend pas la culture du “noir”.


« Non à l’excision » de Tiken Jah Fakoly

Corps et âme

Mais l’excision touche au corps des femmes, à leur âme, à ce qu’elles sont de vivant et d’entièreté – on est au-delà de la couleur de peau, et bien au-delà des politiques Orient Occident. Même lorsqu’elle est pratiquée dans un environnement médicalisé comme c’est le cas dans certains pays, elle n’en reste pas moins une mutilation clairement énoncée dans sa définition : « Excision : Ablation de tout ou une partie du clitoris, parfois accompagnée de l’ablation des petites lèvres du vagin, et de la suture des grandes lèvres (infibulation) ». Et loin de minimiser les chiffres accablants qui ont court sur le continent africain, elle concerne tous les pays du monde.

Les luttes pour la dignité de l’être humain, homme ou femme, ne se remportent pas dans les tranchées. Il faut une prise de conscience mondiale, que les populations se réunissent, dialoguent, partagent et entendent l’argumentaire du respect et de la non-violence. On est ici très loin de savoir si une coutume est bonne ou pas. Est-ce que la coutume ne s’arrête pas là où la souffrance et l’injustice sont flagrantes ?

Benoîte Groult, Katoucha Niane, Keïta Joséphine Traoré

Depuis quelques années, la lutte avance. Des personnalités publiques telles que Benoîte Groult1 ou Katoucha Niane2 ont contribué à rendre le sujet public, et à banaliser le dialogue afin que victimes et communautés concernées parviennent à rompre le silence. Le thème de la mobilisation de cette année se voulait novateur, et un appel à l’engagement : « Tolérance zéro aux MGF/Excision : Les jeunes s’engagent ».

Un Programme de lutte mondiale contre l’excision a été lancé au Mali – le PNLE – qui remporte déjà un certain succès. Keïta Joséphine Traoré, sa directrice, raconte : « Malgré les difficultés nous avons des acquis. La mobilisation sociale autour de la question est constatée partout. La loi relative à la santé de la reproduction intègre l’excision comme une composante. L’adoption par l’Assemblée Nationale de ce texte est un facteur favorable à l’abandon de la pratique de l’excision. Nous sommes heureux de l’introduction de modules MGF/Excision dans le programme des écoles fondamentales et les écoles de santé. » De même, l’association AMSOPT, dirigée par Kadidia Sidibe, se rend directement dans les villages, et accompagne les habitants dans l’arrêt de l’excision. « Dans chaque village, on installe un assistant, on forme des animatrices et on choisit des relais, deux hommes et deux femmes. L’important, c’est de les amener à réfléchir. […] Un comité de suivi est mis en place et géré par les habitants. Ça, c’est très important. Et nous procédons régulièrement à des évaluations physiques. Globalement, les villages qui ont décidé de l’abandon s’y tiennent. ». Sur cent villages démarchés, cinquante ont accepté la démarche, et l’association, en partenariat avec l’UNICEF et l’O.N.G. Equilibres & Populations, s’apprête à prendre en charge quarante villages de plus.

Reconstruction

Dans un autre domaine, le chirurgien Pierre Foldès a mis au point en France une technique chirurgicale de reconstruction clitoridienne. Son intervention est remboursée par la sécurité sociale, sous réserve que la patiente soit assurée. Si cela ne peut concerner toutes les victimes de mutilations sexuelles – car beaucoup font partie des populations clandestines et ne sont donc pas rattachées aux régimes de santé – cela montre en revanche une préoccupation de la science pour le bien-être de ces femmes. Toutes ne souhaitent pas subir l’intervention, mais le simple fait que la possibilité existe est une main tendue, et un souci de compassion.

Bonne nouvelle

Bonne nouvelle donc, un peu d’intolérance pour plus de vigilance. La journée mondiale de lutte contre l’excision vient dire que chacun est concerné par ce qui arrive à certaines d’entre nous. Les continents, les cultures ou même les dogmes séparés se rejoignent symboliquement pour dire d’une seule voix que désormais, l’excision se heurtera à une tolérance zéro. On n’argue plus de différence de culture, mais main dans la main, de partage. Et ce qu’il faut partager, aujourd’hui, c’est cela : le souci de stopper les coutumes ancestrales qui mutilent les êtres et ne trouvent de fondement que dans l’obscurantisme le plus total.

Ce n’est, finalement, ni une journée pour les femmes, ou contre l’Islam, ou bien encore une propagande politique. C’est une journée humaine, pour le droit au corps, à la sexualité et à l’intégrité.

Laetitia Barth


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