Mon cerveau et au-delà

Et de une.

Je m’appelle Jill Bolte Taylor. Je suis un être humain, une femme. J’ai un frère. Il est schizophrène. Je suis neurolobiologiste à Harvard. Médecin, scientifique. J’étudie la machine du cerveau. Je regarde dedans, combien il y a de neurones, de synapses, comment ils communiquent entre eux, y a-t-il une différence entre un cerveau sain et un cerveau atteint de troubles schizophréniques. Que veut dire sain, que veut dire troublé. Que se passe-t-il, quand le cerveau ne répond plus ? Que se passe-t-il, quand il répond normalement, dans ces régions que nous ne savons pas encore explorer ? Je cherche, je suis chercheur. Je suis née Jill Bolte Taylor, avec un corps et ses terminaisons, Je cherche l’accès. La porte d’entrée. Je regarde dans la chair, le muscle, le corps calleux, les humeurs, j’essaye de comprendre l’incompréhensible. Le mystère du cerveau humain, que la science éclaire à peine d’une flammèche.


« Voyage au-delà de mon cerveau » annonce-t-elle en lettres capitales sur son ouvrage paru récemment aux éditions JC Lattès (My Stroke of Insight). A première vue, une femme comme les autres, nantie d’un gigantesque sourire et d’une douceur qui remplace l’ombre chez elle. Elle commence à parler, et le cerveau s’ébranle. Le sien, le nôtre donc. Elle explique que son cerveau touche aux nôtres, qu’ils sont dans la continuité d’un élan de vie et de paix universels. Le titre de l’ouvrage intrigue d’emblée : mon cerveau, et au-delà ? Qu’y a-t-il ? Ou se situe-t-il dans ce qu’il y a ? Et après, une fois le cerveau compris ? Peut-on vraiment le comprendre ? Peut-on, et comment, le soigner ?

Et de deux.

Je ne sais pas exactement comment je m’appelle, j’ai mal à la tête, un œil m’empêche de réfléchir correctement ce matin. Après la douche, je verrai bien. Tout s’affole. Les cellules sont là, mais elles ne se parlent plus. Nous sommes le 10 décembre 1996, je dois prendre une douche pour faire passer cette douleur oculaire, ensuite la journée commencera. Mon bras droit ne répond pas. Je ne sais pas m’habiller, je ne sais pas ce que s’habiller signifie. J’ai un travail à faire, mais où, comment, qui suis-je. Je dois appeler quelqu’un. Qui est-ce quelqu’un ? Tout est si doux, si paisible, il n’y a pas d’urgence. Mon bras est du ciment. Est-ce ça un AVC ? Je me sens très bien, mieux que jamais. C’est plus qu’une sérénité, qu’un sentiment de bien être, c’est au-delà du corps et de mon bras de plomb qui traîne au bout de son attache, ça va plus loin que la douleur ou la non douleur. Est-ce ça, la béatitude ? Je dois appeler au secours. Prévenir quelqu’un. Mais je suis très bien, si bien. C’est une expérience, il n’y a pas de monde autour. Je sens tout, et je ne sens plus rien physiquement. L’œil tombe, le bras aussi, je ne suis plus je, j’ai mal et je me sens parfaitement à ma place. Est-ce ça, une communion ? Où est je ? Je téléphone. Il est en train de se produire quelque chose de grave. Je m’appelle Jill Bolte Taylor, je travaille dans ce laboratoire, venez m’aider. Je ne sais plus parler. Je dis aidez-moi, il entend un brouhaha dans le combiné. Je suis tellement bien, venez m’aider je fais une rupture d’anévrisme.


Cette scientifique de formation a donc dédié sa vie à la recherche sur les troubles cérébraux, et les déficiences neuropsychologiques. Vers 30 ans, elle est victime d’un anévrisme. Mais selon elle, victime n’est pas le terme adéquat. Elle parle de « l’opportunité » de vivre ce qu’elle étudiait en tant que chercheur. L’accident la laissera pourtant très handicapée, et il lui faudra huit ans pour réapprendre à vivre, parler, marcher.

Depuis, elle travaille à communiquer au monde les découvertes qu’elle a faites durant l’expérience de son arrêt vasculaire cérébral. « Il y a de la spiritualité à l’intérieur même de notre cerveau ! Nos deux hémisphères correspondent à des traits de caractère distincts, explique-t-elle. La partie droite permet de toucher à “la paix intérieure” »

Et de trois.

Je m’appelle Jill Bolte Taylor, je suis dans un corps de femme mûre qui ne sait plus rien faire et qui n’obéit pas à son centre de commandes. Je dois réapprendre à parler. A marcher. A être une machine humaine. Mais j’ai découvert quelque chose d’unique. Je ne suis pas triste, je suis ravie. J’ai expérimenté ce que j’étudie. J’ai une réponse. Notre cerveau a deux hémisphères, le gauche qui commande à la structure, et le droit, que nous n’exploitons que trop peu, qui commande aux énergies et à la béatitude. La joie, la bienveillance, le partage, la communion dépendent de là. Je sais où chercher. Pendant que je réapprends à vivre, je cherche dans mon cerveau droit. Je suis heureuse, je partage cela.

Vidéo de la conférence de Jill Bolte Taylor « My Stroke of Insight », sous-titrée en français par : Post-athéisme

Le cerveau humain n’est pas une machine simple, pour preuve la difficulté de la Science depuis plusieurs siècles à percer ses secrets. Mais, sans doute, son fonctionnement est-il plus abordable qu’il nous a paru jusqu’alors, pour peu qu’on admette que la science ne peut soigner que des symptômes – ce qui n’ôte en rien leur gravité – et qu’il existe autre chose qu’une pure mécanique du corps. Jill Bolte Taylor raconte comment, lors de son accident, elle s’est aperçue que les deux hémisphères du cerveau avaient un rôle bien distinct.

A gauche, l’être unique et solide, à droite la communion des esprits, l’énergie.
Ceci explique pourquoi, lorsque l’hémisphère gauche est touché dans une attaque cérébrale, la personne ressent simultanément une grande douleur physique, et une immense harmonie. Toute l’énergie est alors basculée sur l’hémisphère droit, qui irradie et communique au-delà de l’échelle humaine. « Mon esprit, quant à lui, ne connaissait plus d’entrave, il était semblable à une baleine glissant sur les flots de l’euphorie silencieuse. Impression d’harmonie. Je me souviens de m’être dit que je ne pourrais jamais rétrécir l’étendue de mon être pour le faire rentrer dans ce tout petit corps. »

Qu’y a-t-il de plus important que la paix intérieure ? Termes galvaudés, fausses naïvetés, l’époque actuelle se méfie de tout ce qui ressemble un peu trop à une forme de sincérité désintéressée. Et pourtant. Qu’y a-t-il de plus valable que la recherche de la sérénité et du partage ? Le cerveau lui-même applaudirait des deux hémisphères si nous lui demandions son avis.

La chercheuse et sa théorie contribuent à présenter un autre visage de l’être humain, lequel serait capable d’améliorer sa condition et son fonctionnement. Ses conférences font salle comble et elle est d’ores et déjà la chouchoute de l’intelligencia américaine publique. Mais avant de songer, peut-être, à mettre son histoire en film, avant de faire la promotion de son livre, Jill Bolte Taylor veut partager une bonne nouvelle. Car des nouvelles heureuses, des nouvelles qui apportent espoir ou foi en l’humanité, y’en a-t-il tant que ça ? « Je pense que plus nous consacrerons du temps à maîtriser le circuit de paix intérieure de notre hémisphère droit, plus nous répandrons de la paix à l’extérieur de nous et plus notre planète deviendra paisible. Et j’ai trouvé que cette idée valait la peine d’être partagée. »

Laetitia Barth


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