Sampa Pal, chef de gang en sari rose

Du rose, pour mettre l’injustice au vert.

Il y a l’Inde, une terre ou une nation, l’Inde fière, riche, colorée, il y a l’Inde qui fait rêver. Il y a des régions, des endroits où certains vivent avec moins d’un euro par jour. Au nord de l’Inde, il y a la région d’Uttar Pradesh, où la pauvreté est extrême. Et dans cette région de l’Inde sublime et douloureuse, il y a le “Gulabi Gang”.


Interview de Sampa Pal par France2

Du rose, pour éviter les bleus aux corps.
Mariée de force à 9 ans et très rapidement mère, Sampa Pal habite cette région. Étant née intouchable, et qui plus est dans une de ses sous-castes les moins élevées, elle pâtit très tôt de discriminations et refuse d’être une femme soumise. Il y a deux ans, elle décide de fonder le gang des saris roses – désigné ainsi à cause de la même tenue chatoyante qu’arbor ent tous les membres – et le groupe, depuis, n’a cessé de grandir. Elles sont aujourd’hui un peu plus de deux cents membres actives, et comptent quelques hommes dans leurs membres soutiens. Chacune d’elle est armée d’un lathis, le traditionnel bâton indien. Elles parcourent les villages, défilent, et mènent des actions de rue ou de proximité pour « combattre l’injustice et la corruption ».

Du rose, pour dire une colère noire.

Il y a des maisons, et des femmes opprimées. Il y a des hommes qui battent leurs femmes, sous prétexte d’obéissance. Parfois, il n’y a même pas de prétexte. Il y a des politiciens qui détournent l’argent et laissent le peuple mourir de faim. Il y a des maris qui abusent de leurs femmes, les violent, les rabaissent, les abandonnent du jour au lendemain sans ressources. Il y a des patrons qui obligent leurs employées à leur reverser une partie de leurs salaires.

Sampat Pal et son gang refusent ces situations, et veulent se battre pour rétablir les droits, la dignité de ceux qui souffrent injustement. « Dans les cas de violence domestique, nous allons parler au mari pour lui expliquer qu’il a tort. S’il refuse d’écouter, nous faisons sortir la femme et alors nous le battons. Au besoin, nous le battons en public pour l’embarrasser. Les hommes ont l’habitude de croire que les lois ne s’appliquent pas à eux, mais nous faisons le forcing pour que ça change totalement. » Elles acquièrent rapidement une solide réputation dans la région, et leurs actions arrivent à améliorer certains cas : l’an passé, elles ont pu ramener à leurs maris respectifs onze femmes qu’une belle-mère intéressée avait mises à la porte, parce que leurs dots étaient insuffisantes.

Il y a des différences de traitements entre hommes et femmes, dans cette région comme dans bien d’autres du monde. Là-bas, le taux d’alphabétisation des femmes est à 23,9 % pour 50,4 chez les hommes. Il y a 846 femmes pour 1 000 hommes, alors qu’à l’échelle internationale le taux se renverse, 105 filles pour 100 garçons. D’une part la violence rythme nombre de quotidiens, d’autre part le système des castes de l’Inde renforce le dictat du plus fort. L’organisation sociale et culturelle place les femmes en queue de file, et fait d’elles les premières victimes de toutes les discriminations. Elles forment une catégorie subordonnée qui représente pourtant quasiment la moitié de la population. Et le gang des saris roses apporte, sinon des améliorations régulières et flagrantes dans leurs quotidiens, une émulation et un espoir qui sont la condition sine qua non à un avenir meilleur.

Du rose, pour moins de rires jaunes.

Sampat Pal est très pauvre. Il n’y a qu’un sari dans sa garde-robe de chef de gang. Il y a un bureau, qui lui sert également de pièce où dormir. Elle a quitté son mari pour mener sa lutte, et se nourrit de ce que lui offrent les autres femmes. Elle a choisi une couleur emblématique, mais qui pour elle n’a qu’une fonction pratique : « L’idée de nous habiller d’un sari rose est venue par la suite. Lorsque nous devions aller à Lucknow (la capitale de l’Uttar Pradesh), ou à Delhi, pour nous faire entendre des autorités, j’avais un mal fou avec toutes ces femmes, dont la plupart n’étaient jamais sorties de leur village. Elles se perdaient dans la foule très dense des gares. J’ai alors pensé qu’un uniforme réglerait le problème. Alors pourquoi pas le rose ? C’est une couleur vive, je ne risquais plus de perdre mes femmes… ».


Du rose, pour toutes ces épouses grises.

Il y a des vies terribles. Des cultures différentes, où règne parfois le déséquilibre, la misère ou l’ignorance. Mais il y a aussi, encore, des êtres courageux qui luttent. Il n’y a pas de profit personnel. Il y a l’Inde, que l’on peut rendre plus égalitaire. Il y a des combats qui méritent d’être menés. Il y a des forces insoupçonnées, chez certaines femmes. Il y a une intelligence et un respect inavoué, chez certains hommes. Il y a des colères qui fondent des insurrections, et des violences orchestrées pour illustrer la souffrance. Il y a une bonne humeur, une volonté, une force de caractère et de partage chez Sampat Pal, qui sont la lumière d’une initiative rare et importante.

Laetitia Barth

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Commentaires (4)
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  • admin

    Oui, avec peu de moyens mais de la motivation, on peut faire beaucoup…

  • Caro

    Bel exemple de débrouillardise et d’entre-aide face a l’adversité. Merci pour cet article.

  • Sylvie

    Merci pour cet article brillant !
    Ceci est un bel exemple de ralliement de la masse. Il est temps que se brise le silence de la hiérarchie de l’esclavage générationnelle qui n’existe pas seulement en Inde.

  • janou

    Du rose pour dire une colère noire, magnifique. Il est tant que les femmes puissent s’affirmer dans tous ces pays où l’autorité de l’homme sous prétexte de la religion elle-même détournée par l’homme les avilies et les contôle. Pour ceux et celles qui ne connaissent pas un film magnifique sur la condition des femmes en Afghanistan récipiendaire d’un Golden Globe en 2003 : Osama.