Des semences pour les paysans syriens

Un bel exemple de solidarité contre la guerre

Sous la bannière de leur association Graines et Cinéma, Zoé et Ferdinand Beau parcourent le sud de la France pour construire un réseau de semeurs solidaires venant en aide aux paysans syriens, victimes du conflit qui ravage leur pays depuis quatre ans.

Présentation du projet

« J’ai apporté des semences de potimarron, de courges et de blettes », claironne Joëlle au stand de Graines et Cinéma installé, pour la soirée, dans une salle de Cambon-lès-Lavaur. Munie de ses enveloppes où reposent les précieuses graines, la Tarnaise s’inquiète : « Il faut les planter en godet. En pleine terre ça ne marche pas. Mais, d’ailleurs, est-ce que ça poussera là-bas ? » D’une voix douce, Ferdinand Beau la rassure : « La Syrie est un pays varié. Il n’y a pas que du désert mais aussi des montagnes et des plaines. Lorsque les semences arrivent dans les pays frontaliers, elles sont réparties au mieux selon les conditions climatiques. »

Des nattes colorées ont été superposées sur le carrelage froid. Des tableaux enfantins sur l’espoir de paix en Syrie ornent les murs. Près de l’écran géant flotte un drapeau de la révolution syrienne. Devant le jeune ingénieur agronome, la salle est fin prête. Au menu de ce soir, dans ce village de 300 habitants : récolte de graines pour la Syrie, projection de documentaires et discussions à prolonger dans la nuit. Des événements de ce type, Ferdinand et sa sœur aînée Zoé en ont organisé une trentaine au cours de l’été.
Dix-sept départements du sud de la France traversés, des milliers de kilomètres avalés dans leur camion et déjà des centaines de kilos de semences paysannes récoltées : ils affichent un joli bilan depuis leur départ de la région parisienne en juin. S’appuyant sur les réseaux de la Confédération paysanne, des Semences paysannes ou sur des initiatives informelles, les deux jeunes de 27 et 24 ans ont écumé les places de villages et les communautés. Avec un seul objectif : construire un réseau de semeurs français solidaires des cultivateurs syriens victimes de la guerre.

Tout a commencé au Liban

Tout a commencé au Liban, où Ferdinand et Zoé ont vécu six mois l’année dernière. Dans ce petit pays, qui accueille aujourd’hui près de deux millions de Syriens, ils ont été sollicités pour aider à aménager un jardin potager. Et pas n’importe où : sur le toit d’un immeuble de Chatila, le camp palestinien en bordure de Beyrouth au nom tristement célèbre, où vivent des milliers de réfugiés syriens.

Le frère et la sœur ont découvert alors les problématiques agricoles et alimentaires qui rongent la Syrie voisine.


La Syrie, ancien grenier du Moyen-Orient

Depuis ses débuts en 2011, le conflit militaire, qui a provoqué la mort de 300.000 personnes et le déplacement de 8 millions d’autres à l’intérieur et à l’extérieur du pays, a anéanti les moyens de productions agricoles. Ancien grenier du Moyen-Orient, la Syrie est en proie à une insécurité alimentaire croissante. Selon la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), près de 10 millions de personnes vivent dans une situation critique, nécessitant une assistance alimentaire et agricole permanente. Dans les zones ravagées par les combats, les habitants en autogestion forcée cultivent des légumes pour survivre.

« Se réapproprier dans l’urgence la souveraineté alimentaire »

C’est le cas à Yarmouk, un camp de réfugiés palestiniens situé au sud de Damas et soumis, depuis deux ans et demi, a un état de siège meurtrier. Pour endiguer la famine qui décime les 18.000 habitants du quartier, des potagers ont poussé sur les toits. Ces jardins urbains qui ont fleuri sous les bombes sont à l’origine d’un appel du collectif syrien 15th Garden (le 15e Jardin) [en anglais] aux cultivateurs européens pour alimenter des parcelles informelles aux quatre coins de Syrie.

Depuis 2013, 15th Garden coordonne ainsi des initiatives sur un territoire morcelé où l’accès aux graines est entravé par l’inflation des prix et par des décennies de planification agricole qui privait les paysans de la maîtrise de leurs semences. « C’est tout un savoir-faire paysan et un patrimoine naturel qui s’est perdu au fil des ans. Le conflit permet au moins à certains Syriens de se réapproprier dans l’urgence leur souveraineté alimentaire. Pour cela, il faut les aider », explique Ferdinand.

Pour ne pas se sentir impuissants, Zoé et Ferdinand ont choisi de soutenir, à leur échelle, une société civile exsangue, abandonnée par la communauté internationale mais prompte à développer des techniques de survie. « L’appel du 15th Garden a bien pris en Allemagne et en Grèce, où des tonnes de semences ont été données. De retour en France on s’est simplement dit : Pourquoi ne pas essayer de constituer un réseau ici ? » raconte Zoé. Son frère et elle choisissent de s’appuyer sur le genre documentaire pour donner à voir des instants de vie en Syrie. « C’est important pour nous de montrer que les gens sur place sont inventifs et que l’on peut parler de ce conflit autrement qu’en termes géopolitiques et dramatiques », poursuit la jeune femme.

Ces semences rustiques sont bannies par les douanes du monde entier.

Des graines de paysans et de jardiniers sont collectées au cours de ces ciné-rencontres, de la main à la main, et en opposition totale avec la stratégie développée par la coopération internationale. « Certaines organisations font parvenir aux Syriens des variétés hybrides et standardisées qui nécessitent une utilisation importante d’eau et d’engrais. Elles créent une dépendance, car le paysan doit racheter chaque année sa semence. À le voir comme ça, on pourrait croire que les multinationales de l’agroalimentaire se préparent déjà à mettre la main sur la Syrie de l’après-conflit », s’insurge Ferdinand.

Les variétés syriennes conservées par la Réserve mondiale de semences de Svalbard, en Norvège, seront quant à elles replantées… au Maroc et au Liban. L’Icarda (le Centre international de recherche agricole dans les zones arides) [en anglais] a sollicité « L’arche de Noé végétale » pour reconstituer sa banque de graines détruite à Alep. Une première mais qui ne profitera pas aux Syriens.

Nécessité de développer un réseau de distribution

Loin de cette absurdité ambiante, Graines et Cinéma recueille des semences paysannes méditerranéennes réputées résistantes et qui peuvent surtout être réutilisées chaque année. « Le but n’est pas tant de collecter pour stocker mais de construire un réseau efficace et pérenne de paysans français à qui l’on puisse faire appel quand on en a besoin. Là-bas, les graines sont disséminées le plus vite possible. Rien ne sert de construire une Maison de la semence qui pourrait être détruite par une bombe », précise Ferdinand.

Salade, épinards, pois chiches ou encore blé, le frère et la sœur acheminent ces graines en toute illégalité. L’échange de variétés traditionnelles non inscrites au catalogue européen étant déjà formellement interdit, ces semences rustiques sont bannies par les douanes du monde entier. Ferdinand fulmine : « C’est un comble quand on sait que l’histoire de l’Humanité s’est fondée sur le voyage des graines. » Jusqu’à présent, ils ont fait appel à des voyageurs prêts à en mettre quelques kilos dans leurs bagages jusqu’au Liban et à la Turquie. Via des relais locaux de 15th Garden, les graines sont triées. Certaines sont données à des réfugiés syriens installés dans ces pays frontaliers. Le plus gros passe clandestinement la frontière pour arriver à Alep, Kobané, Deraa ou encore Yarmouk.

Graines et Cinéma pourra bientôt voir les choses en grand. L’association Lounapo (l’Ouvroir de navigation potentielle) leur a proposé de traverser la Méditerranée à bord de son voilier et de transporter 500 kilos de semences. « Mais le tout n’est pas de donner, il faut aussi accompagner dans la durée », souffle Zoé. Qui s’amuse : « Ici, on nous a donné des graines de tomates anciennes que l’on a du mal à reconnaître nous-mêmes. Alors imaginez la tête des Syriens quand elles pousseront chez eux ! »

Marine Vlahovic

pour Reporterre http://www.reporterre.net

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