Sous la bannière de leur association Graines et Cinéma, Zoé et Ferdinand Beau parcourent le sud de la France pour construire un réseau de semeurs solidaires venant en aide aux paysans syriens, victimes du conflit qui ravage leur pays depuis quatre ans.
Présentation du projet
Des nattes colorées ont été superposées sur le carrelage froid. Des tableaux enfantins sur l’espoir de paix en Syrie ornent les murs. Près de l’écran géant flotte un drapeau de la révolution syrienne. Devant le jeune ingénieur agronome, la salle est fin prête. Au menu de ce soir, dans ce village de 300 habitants : récolte de graines pour la Syrie, projection de documentaires et discussions à prolonger dans la nuit.
Dix-sept départements du sud de la France traversés, des milliers de kilomètres avalés dans leur camion et déjà des centaines de kilos de semences paysannes récoltées : ils affichent un joli bilan depuis leur départ de la région parisienne en juin. S’appuyant sur les réseaux de la Confédération paysanne, des Semences paysannes ou sur des initiatives informelles, les deux jeunes de 27 et 24 ans ont écumé les places de villages et les communautés. Avec un seul objectif : construire un réseau de semeurs français solidaires des cultivateurs syriens victimes de la guerre.
Tout a commencé au Liban
Tout a commencé au Liban, où Ferdinand et Zoé ont vécu six mois l’année dernière. Dans ce petit pays, qui accueille aujourd’hui près de deux millions de Syriens, ils ont été sollicités pour aider à aménager un jardin potager. Et pas n’importe où : sur le toit d’un immeuble de Chatila, le camp palestinien en bordure de Beyrouth au nom tristement célèbre, où vivent des milliers de réfugiés syriens.
Le frère et la sœur ont découvert alors les problématiques agricoles et alimentaires qui rongent la Syrie voisine.
La Syrie, ancien grenier du Moyen-Orient
Depuis ses débuts en 2011, le conflit militaire, qui a provoqué la mort de 300.000 personnes et le déplacement de 8 millions d’autres à l’intérieur et à l’extérieur du pays, a anéanti les moyens de productions agricoles. Ancien grenier du Moyen-Orient, la Syrie est en proie à une insécurité alimentaire croissante. Selon la FAO (l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), près de 10 millions de personnes vivent dans une situation critique, nécessitant une assistance alimentaire et agricole permanente. Dans les zones ravagées par les combats, les habitants en autogestion forcée cultivent des légumes pour survivre.
Depuis 2013, 15th Garden coordonne ainsi des initiatives sur un territoire morcelé où l’accès aux graines est entravé par l’inflation des prix et par des décennies de planification agricole qui privait les paysans de la maîtrise de leurs semences. « C’est tout un savoir-faire paysan et un patrimoine naturel qui s’est perdu au fil des ans. Le conflit permet au moins à certains Syriens de se réapproprier dans l’urgence leur souveraineté alimentaire. Pour cela, il faut les aider », explique Ferdinand.
Des graines de paysans et de jardiniers sont collectées au cours de ces ciné-rencontres, de la main à la main, et en opposition totale avec la stratégie développée par la coopération internationale. « Certaines organisations font parvenir aux Syriens des variétés hybrides et standardisées qui nécessitent une utilisation importante d’eau et d’engrais. Elles créent une dépendance, car le paysan doit racheter chaque année sa semence. À le voir comme ça, on pourrait croire que les multinationales de l’agroalimentaire se préparent déjà à mettre la main sur la Syrie de l’après-conflit », s’insurge Ferdinand.
Les variétés syriennes conservées par la Réserve mondiale de semences de Svalbard, en Norvège, seront quant à elles replantées… au Maroc et au Liban. L’Icarda (le Centre international de recherche agricole dans les zones arides) [en anglais] a sollicité « L’arche de Noé végétale » pour reconstituer sa banque de graines détruite à Alep. Une première mais qui ne profitera pas aux Syriens.
Nécessité de développer un réseau de distribution
Salade, épinards, pois chiches ou encore blé, le frère et la sœur acheminent ces graines en toute illégalité. L’échange de variétés traditionnelles non inscrites au catalogue européen étant déjà formellement interdit, ces semences rustiques sont bannies par les douanes du monde entier. Ferdinand fulmine : « C’est un comble quand on sait que l’histoire de l’Humanité s’est fondée sur le voyage des graines. » Jusqu’à présent, ils ont fait appel à des voyageurs prêts à en mettre quelques kilos dans leurs bagages jusqu’au Liban et à la Turquie.
Graines et Cinéma pourra bientôt voir les choses en grand. L’association Lounapo (l’Ouvroir de navigation potentielle) leur a proposé de traverser la Méditerranée à bord de son voilier et de transporter 500 kilos de semences. « Mais le tout n’est pas de donner, il faut aussi accompagner dans la durée », souffle Zoé. Qui s’amuse : « Ici, on nous a donné des graines de tomates anciennes que l’on a du mal à reconnaître nous-mêmes. Alors imaginez la tête des Syriens quand elles pousseront chez eux ! »
Marine Vlahovic
pour Reporterre http://www.reporterre.net