S’alimenter sainement tient aujourd’hui du défi.
David Birghoffer nous propose de retrouver le plaisir de cuisiner de bons repas simples en pleine conscience.
Sacrée Planète : Comment sont nés votre amour de la cuisine et votre engagement pour une alimentation saine ?
David Birghoffer : Durant ma petite enfance, ma grand-mère et ma mère m’ont transmis l’art de cuisiner, de recevoir et de partager. Il y a certainement un aspect génétique car mes enfants aiment tous cuisiner et le font bien.
Ma mère, certainement mon premier maître, avait le sens de la recherche dans l’art de présenter une belle table ; elle aimait découvrir les recettes d’autres pays et possédait un goût très fin et le sens des saveurs. Cependant, comme elle était nourrice et allaitait un autre enfant, j’ai toujours eu l’impression de ne pas avoir suffisamment à manger. J’ai par la suite développé, en lien avec une blessure d’abandon, une relation d’avidité avec la nourriture qui a ainsi pris une place importante dans ma vie. Mon cheminement en a fait petit à petit un atout. J’aime bien manger et j’ai naturellement un palais très fin qui me permet de jouer avec des recettes de base. Je sais reconnaître si un plat est abouti ou non. J’entre en communion avec les légumes et je leur parle. Je cuisine à l’intuition, attentif aux bruits et aux odeurs…
SP : Qu’explore-t-on d’essentiel dans la nourriture et la cuisine ?
DB : La vie, l’amour ! Nous mangeons deux à trois fois par jour, ce n’est pas rien ! Reconnaître le processus de transmutation que constitue le fait de manger permet de s’aimer, de se respecter ; à travers la nourriture nous offrons de l’amour. Cuisiner permet d’aborder des aspects de soi jusqu’alors inconnus, de découvrir sa créativité, de franchir des peurs et de reprendre confiance en soi, en un mot : « changer le monde ! ». Swami Premananda [1] disait que lorsqu’il cuisinait en étant relié, en chantant des bhajans [2], il entendait la nourriture chanter des chants sacrés. Cela veut bien dire que le petit légume devant soi, porte en réalité quelque chose d’immense…
Pour illustrer cette reliance à la vie grâce à la cuisine, je peux raconter une anecdote « lors de mon premier atelier de cuisine, une seule personne s’inscrivit. Or, c’était une femme enceinte de deux mois qui me confia ses craintes de perdre son bébé car il y avait des complications. Je lui suggérai « As-tu pensé à parler à ton bébé et à lui demander de rester ». Elle s’est mise à pleurer et m’avoua qu’elle éprouvait des difficultés à créer des liens avec son enfant car s’il devait partir ce serait encore plus difficile à vivre pour elle… Bien que ma capacité d’écoute fût plus sollicitée que ma pratique culinaire, j’ai remercié pour ce cadeau… Aujourd’hui la maman rentre dans son sixième mois de grossesse.
Se nourrir, une porte pour favoriser l’éveil de la conscience
SP : Votre démarche spirituelle est essentiellement en relation avec la nourriture, est-ce un choix ?
DB : La transmission familiale y est pour beaucoup. Mes grands-parents paternels et maternels étaient des personnes qui avaient la foi. Nous lisions tous les soirs des passages de la Bible et nous priions ensemble, les repas étaient bénis. Mon grand-père me donnait en exemple Albert Schweitzer [3]. J’ai ensuite poursuivi mon propre chemin, sans pour autant renier mes racines. Cela fait 20 ans que cuisiner est mon activité principale.
SP : Vous écrivez, en présentation de vos stages et ateliers, que « l’acte de se nourrir serait une porte pour favoriser l’éveil de la conscience », quelle est votre expérience ?
DB : Pour moi, la manière de s’alimenter est une clé, le premier support de l’éveil spirituel et mon principal champ d’action. Ce que l’on donne au corps n’est pas toujours reconnu comme primordial et je suis parfois surpris de ce que mettent dans leur assiette les personnes qui sont dans une démarche spirituelle. Fin 1990, j’ai vécu à cet égard une expérience fondamentale. Lors d’un repas cuisiné par Swami Premananda dans son ashram indien, j’ai ressenti en mangeant, pour la première fois, une sensation très subtile, comme de l’amour densifié. Je me suis alors dit qu’un jour j’aimerais cuisiner ainsi. Pendant douze ans, j’ai fabriqué un tofu traditionnel entièrement élaboré à la main, selon la tradition des moines japonais du XIe siècle. Je le sacralisais en l’élevant vibratoirement. Même si les personnes ignoraient cette qualité du tofu au moment de l’achat, je sais que cela œuvrait en elles lorsqu’ils le consommaient.
L’été dernier, j’ai eu la grâce de faire de la cuisine indienne, ce qui demanda plusieurs heures car je coupais tout à la main. Puis j’ai servi le repas, et en goûtant le plat, je me suis interrompu… La nourriture avait une qualité vibratoire exceptionnelle Une grâce avait béni la nourriture, au-delà de toute volonté
SP : La cuisine est-elle un acte sacré et pourquoi est-ce si important ?
DB : Dans les grandes traditions, une partie des textes sacrés donne des consignes particulières sur la manière de cuisiner. Selon les Upanishads [4], par exemple, la nourriture est « brahmane » (c’est-à-dire réalité divine). Les rituels et l’attention que l’on porte à la cuisine et au repas ont un sens profond. Dans les ashrams ou encore dans les dojos zen, le maître confie la cuisine au disciple le plus avancé sur le chemin pour altérer le moins possible les aliments et transmettre l’amour, la bienveillance et la reliance ; dans l’église chrétienne, on communie par le pain et le vin… La nourriture détermine nos sentiments, nos pensées et nos actes. En mangeant, nous nourrissons tous les principes de vie à l’intérieur de notre organisme et nous participons à la vie et à la création. Nous pouvons prendre conscience, quel que soit notre système de croyance, de la place et du rôle de l’être humain dans l’univers. En transmutant les aliments, il participe à l’évolution des autres règnes vivants. On honore le divin en lui offrant de la nourriture. Or, nous portons en nous le divin, que lui offrons-nous à travers l’alimentation
Lors de la préparation d’un repas, prêter attention au sacré permet d’apprécier l’offrande qui nous est faite à travers la nourriture et de communier avec le règne qui se transforme.
Aujourd’hui, dans la civilisation occidentale européenne, la notion de sacré est presque taboue. Au départ, introduire une pratique spirituelle dans mes ateliers m’a fait un peu peur. Aujourd’hui, je réalise que c’est ce que j’ai à faire nous asseoir ensemble, nous mettre dans la Présence, partager un texte sacré sur la nourriture, entrer dans la conscience de ce qui se passe. Pour moi, découper un légume est un acte spirituel, je suis centré et présent à ce qui se passe intérieurement.
SP : Vous communiquez avec les esprits de la nature en cuisinant. Comment faites-vous ?
DB : C’est très simple, il suffit de se penser en collaboration avec eux, « d’ouvrir la porte » à leur présence. Lorsque je prends une carotte, j’ai une pensée pour tous ceux qui ont permis à ce légume d’arriver là. Le jour de la saint David, les esprits de la nature m’ont rendu visite dans le restaurant bio végétarien dont je m’occupais, en Dordogne. Ces esprits de la nature ont déposé, sous forme d’énergie, comme une fleur en cristal pour permettre aux personnes venant manger dans le restaurant de se relier avec eux et avec la Terre J’ai alors compris qu’ils se manifestaient jusque dans la nourriture préparée et non pas exclusivement dans les potagers. Par la suite, une personne sensible a témoigné percevoir dans le restaurant une multitude d’esprits de la nature.
Cuisiner avec les règnes et les éléments
SP : D’autres règnes participent-ils à la cuisine ?
DB : J’en suis convaincu, c’est le cas pour le règne angélique, par exemple. Dans les rituels traditionnels hindous la cuisine se fait sur un foyer, et on commence par invoquer la présence du feu et des autres éléments. Lors des animations, je donne des pratiques qui permettent de se relier aux cinq éléments (terre, air, eau, feu et éther), au soleil, à la lumière, pour se connecter au niveau des trois corps (corps, âme et esprit).
SP : Quelle est la place du silence dans vos ateliers ?
DB : Cuisiner en silence permet de calmer le mental, de se concentrer et d’accéder à un autre état de conscience. C’est l’être subtil qui va réaliser quelque chose dans la matière. Nous préparons avec le cœur, dans la paix. Manger en silence favorise l’assimilation. Un événement majeur de ma vie privée a pris forme dans le silence. Alors que je séjournais dans un centre de méditation, une personne me proposa de remplacer le cuisinier qui avait dû s’absenter. Nous nous mîmes à cuisiner à plusieurs, c’était très sympathique, nous papotions, lorsque qu’une femme entra dans la pièce. Ce fut un choc. Écoutant mon intuition, je dis alors « Écoutez, mettons-nous dans le silence et observons ce qui se passe… » à ce moment-là, nous avons senti descendre une immense bénédiction, presque palpable, qui nous dépassait totalement et qui nous a profondément touchés… Cette femme allait par la suite devenir ma femme Aujourd’hui, je cuisine toujours dans le silence, sans radio ou autre…
SP : Pensez-vous que les pensées du cuisinier influent sur la conscience de la personne qui prend la nourriture ?
DB : Oui, ça va très loin… Notre rayonnement et notre champ d’action s’élargissent en fonction de notre conscience. Une personne manifestant peu de conscience n’altérera pas la conscience de son voisin… Plus notre conscience se déploie, plus notre manière d’être interagit avec ce que l’on fait. En bénissant la nourriture, nous l’ajustons à qui nous sommes. En témoignant de la gratitude, nous touchons toute la chaîne alimentaire, visible et invisible. En remerciant, nous atteignons la personne qui a cultivé par exemple, car il n’y a pas de séparation…
SP : Considérez-vous le végétarisme comme une étape spirituelle ?
DB : C’est certainement une étape sur le chemin… Cependant, le plus important est la conscience du sacré car je peux être végétarien sans reconnaître le rôle de la nourriture. Un lama tibétain qui est en voie de réalisation peut manger tout ce qu’il veut, car il aura la gratitude, le remerciement, etc.
SP : Quel conseil donneriez-vous aux personnes souhaitant modifier leur régime alimentaire ?
DB : Tout changement de régime doit se faire dans l’apprivoisement pour ne pas créer de crispation intérieure. La détoxination est importante, notamment au printemps et en automne. Un changement de régime dérange l’organisme et les colonies de bactéries, qui ne sont plus alimentées, suscitent les désirs d’aliments comme la viande, le sucre des pâtisseries, etc. L’organisme fonctionne alors en vase clos. Se détoxiner permet de se réaligner, de revenir à soi-même car les informations erronées jusque-là contenues dans nos cellules sont supprimées. On peut ensuite s’orienter vers sa vraie réalité et le mode d’alimentation qui nous convient.
SP : Que pensez-vous de l’alimentation prânique ?
DB : Notre corps est principalement constitué de lumière et notre premier aliment est la lumière… Je ressens que l’on se dirige vers cette nouvelle façon de s’alimenter mais, comme dans tout chemin spirituel, chacun fait ses choix. Avant tout changement de régime alimentaire, et spécialement l’alimentation prânique, il est bon de se poser cette question est-ce un chemin de volonté ou véritablement un choix d’âme En outre, je pense qu’il est plus facile d’abandonner la nourriture physique si on l’a d’abord bien explorée… En ayant auparavant appris à diversifier sur son palais des saveurs variées comme dans les cuisines « reliées » : indienne, marocaine ou macrobiotique, etc., nous serons davantage en mesure de reconnaître à un certain moment que nous n’en avons plus besoin.
Un enjeu pour l’humanité
SP : Pensez-vous que la façon de s’alimenter caractérise des étapes dans l’évolution de l’humanité ?
DB : L’homme est inclus dans un principe d’évolution et ses besoins diffèrent selon les époques. Originellement l’alimentation était sans doute mieux adaptée à sa constitution physique naturelle, à l’époque de la cueillette par exemple. Dans la tradition inca, au moment des semailles, le roi-prêtre ouvrait la terre en premier avec un soc de charrue en or, cela illustre bien sa relation à la terre nourricière. Puis, lorsque l’homme s’est coupé de sa divinité, à la fin de l’Atlantide par exemple, il a perdu toute relation harmonieuse avec la nourriture.
Aujourd’hui, l’enjeu est de taille. Depuis la fin du XIXe siècle, la politique agricole, les lobbies alimentaire et pharmaceutique notamment dictent leurs lois. L’alimentation et la santé sont les deux principaux instruments pour qui tenterait d’asservir et contrôler l’humanité. Or, force est de constater que nous consommons essentiellement des plats cuisinés, nous mangeons trop de viande et il n’y a pas de véritable enseignement sur ce qu’est une alimentation saine. Pour citer Pierre Rabhi, agriculteur biologiste, écrivain, concepteur d’« oasis en tous lieux », du mouvement « colibri » et de l’agroécologie, une agriculture respectueuse des ressources naturelles « Avant quand nous nous mettions à table nous nous souhaitions bon appétit, aujourd’hui il faudrait plutôt se souhaiter bonne chance ». En nous alimentant mal, nous nous coupons de notre partie lumineuse et nous créons un obstacle à notre évolution.
SP : Allons-nous vers un changement ?
DB : Certainement, de plus en plus de personnes consomment des produits biologiques et les rayons de produits ultra-frais dans les magasins bios excellent en créativité pour les aliments végétariens. Cette attitude témoigne d’une remise en cause profonde de la façon de se nourrir ces 50 dernières années. Ainsi les rayons de fruits et légumes bios se sont diversifiés, les AMAP [5] multipliées. Nombreux sont ceux qui se tournent vers la production de leurs propres fruits et légumes, que ce soit à la campagne ou à la ville [6], où des mouvements citoyens se sont organisés spontanément autour de jardins collectifs. Ce mouvement témoigne de la prise de conscience de l’importance d’une alimentation saine et naturelle pour l’équilibre de notre corps physique et de notre psyché.
SP : Quel est l’objectif de vos ateliers À qui s’adressent-ils ?
DB : La richesse des Occidentaux est de disposer de beaucoup de liberté dans la manière de s’alimenter. Cependant, dans nos choix, comme celui d’aller vers le végétarisme, nous avons besoin de soutien car nous sommes pris dans les faisceaux des lobbies, via la publicité, qui nous maintiennent dans des stéréotypes comportementaux. L’objectif est de maîtriser un savoir-faire, d’avoir conscience de ce qui se passe à l’intérieur de soi, dans la célébration de la nourriture, de pouvoir s’approprier, ressentir ce qui est bon pour soi. Retrouver son pouvoir, revaloriser l’acte de cuisiner et le transformer en une pratique spirituelle, dans la joie de préparer ensemble les repas que nous partagerons. Je pense que l’on peut changer le monde depuis sa cuisine
Mes stages et ateliers s’adressent aux personnes gourmandes et à celles qui désirent découvrir des saveurs nouvelles et variées, des recettes simples accessibles à toute personne en démarche de changer son régime alimentaire quelle qu’en soit la raison, et qui ressent le besoin d’être soutenue. À celles et ceux qui souhaitent entrer dans une pleine conscience de leur état d’être en transmettant l’amour par leur cuisine. Mais au fond, tout le monde est intéressé par la nourriture, n’est-ce pas
Célébrer la vie par la cuisine
SP : Quelle est votre méthode d’enseignement de la cuisine ?
SP : Quels sont vos projets ?
DB : À l’instar de Pierre Rabhi qui pose la question de ce que l’on fait de la terre, mon espoir serait de lancer progressivement un mouvement de conscience par rapport à l’usage des fruits de la terre. Après la récolte que se passe-t-il Comment fait-on pour se nourrir Aujourd’hui, la vie m’appelle à m’intéresser à la cuisine crue, le raw-food qui se pratique beaucoup aux États Unis. Apprendre à cuisiner autour de 40°, déshydrater, innover et créer des recettes.
Mon rêve serait que des personnes inscrivent leur démarche avec moi dans la durée et que nous parcourions un chemin ensemble, pour observer les étapes sur un, deux ou trois ans…
SP : Vous animez des ateliers à domicile. Est-ce un plus pour la personne qui reçoit ?
DB : Certainement. Cela lui permet d’installer une nouvelle dimension dans sa maison, de préparer un nouveau départ, et de faire de sa cuisine, pièce de la maison très particulière, un « temple ».
SP – David Birghoffer a intitulé ses ateliers « Cuisiner en conscience, l’art de transmettre la vie ». Ici, pas de régime idéal et miraculeux, de challenge culinaire en décalage avec l’être. En conscientisant par tous nos sens notre manière de manger et de cuisiner, nous influons sur la qualité de notre vie physique, mentale et spirituelle, nous explorons une multitude de dimensions sociale, personnelle, culturelle… Un véritable hymne à la vie.
- Swami Premananda est un sage indien (1951-2011). Son enseignement était basé sur la conscience de la présence permanente de la Divinité à l’intérieur de son propre cœur, dans chaque action et à chaque instant. Voir le site www.sripremananda.org. Son ashram comprend un orphelinat de plus de 500 enfants nourris, logés et scolarisés.
- Les bhajans sont des chants sacrés indiens – Lire les articles dans Sacrée Planète n° 34 (Ashvini) et n° 40 (Pourquoi chanter Dieu ).
- Albert Schweitzer (1875-1965), théologien, philosophe et médecin alsacien est connu pour son éthique du « respect de la vie ». Il fut lauréat du prix Goethe 1928 et du prix Nobel de la paix en 1952.
- Les Upanishads sont des textes sacrés de l’Inde Antique.
- AMAP Association pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne. C’est un groupement de consommateurs autour de producteurs locaux. Voir news dans Sacrée Planète n° 15 sur les paniers de légumes et dans le n° 37 sur les paniers de la mer.
- Voir Sacrée Planète n° 51 “Des fruits et légumes disponibles pour tous en ville” et Sacrée Planète n° 40 “villes en transitions”.
Merci 🙂
Merci pour cette article ! 🙂
Je suis très heureuse de lire à travers ces mots, le caractère sacré de ce moment si particulier qu’est, de composer un repas.
Notre vie moderne où l invitation est la plus part du temps de banaliser ce moment en l expédiant au plus vite, laisse un goût inexistant.
Je partage pleinement le fait que la conscience des aliments et la gratitude que nous avons envers eux vont augmenter, je dirai même s’ aligner à notre taux vibratoire originel.
De même que l’acte de cuisiner en silence en offrant toute notre attention,
est d’ honorer ces aliments.
Merci à David pour ce qu’il transmet et à vous pour cet article.
Très intéressant
Merci beaucoup,la lecture été délicieuse…