« Rebondir » grâce à la danse Malkovsky …
ou comment surmonter le pire des traumatismes
Jusqu’à présent il s’agissait surtout de montrer comment cette pratique permet de maintenir un niveau optimal de bien-être en corrigeant, pour faire » bref « , certains méfaits engendrés par une vie coupée de la Nature, telle qu’est notre vie d’hommes modernes, une vie trop sédentaire, trop assistée par la technologie. On peut dire que la danse Malkovsky est une activité psychocorporelle visant à maintenir le bon fonctionnement de tout notre être et prévenir ainsi les problèmes dus aux mauvaises postures, tensions, blocages qui, répétés au fil du temps, affectent notre corps et se traduisent avec l’âge en douleurs articulaires et musculaires, raideurs, arthrose, perte de mobilité et d’équilibre, etc. Bien évidemment, une telle pratique ne doit être qu’une composante d’un mode de vie beaucoup plus global, plus proche de notre nature et des liens que nous devons réactiver en nous avec les autres règnes de la Nature. Elle ne dispense donc pas d’adopter un régime alimentaire permettant le bon fonctionnement de nos organes car ce que nous mangeons contribue à fabriquer nos tissus et constitue ce que nous sommes.
Aujourd’hui toutefois, j’aimerais développer le rôle que peut jouer la danse Malkovsky pour surmonter et dépasser un grave traumatisme subi par le corps ainsi que ses conséquences psychologiques.
L’accident
Ce soir du 21 décembre 2014, Catherine Georgesco, jeune septuagénaire (je peux dire son âge car elle est loin de le paraître même après son « accident », et ne le cache pas) attendait tranquillement pour traverser la rue sur une place de Dijon. Catherine pratique avec passion le chant lyrique et la danse Malkovsky et revenait d’un concert de Noël qu’elle avait donné dans une chapelle de la ville. Son concert avait été un succès et elle était dans un état particulièrement euphorique. Bien que cela suffît à son bonheur du jour, elle avait accepté d’aller au cinéma avec son compagnon, et comme la température était particulièrement douce, ils s’y rendaient à pied. C’est alors que tout a basculé : une voiture circulant à vive allure, tous phares éteints, conduite par un déséquilibré, ainsi qu’on l’apprendra plus tard, a fauché les personnes qui se trouvaient sur le bord du trottoir. En tout, douze personnes ont été blessées, dont certaines très grièvement. Catherine faisait partie de celles-là, après avoir effectué un vol plané d’environ 2 m. Restée dans le coma durant deux heures, elle était sévèrement blessée au visage et atteinte de multiples fractures (quatre au visage, une à la jambe droite, une à la cheville gauche avec en plus une entorse). Transportée à l’hôpital, elle a subi plusieurs opérations et est restée 45 jours clouée sur son lit.
C’est là, dans cette situation peu réjouissante, que Catherine a eu un comportement extraordinaire. Elle aurait pu se contenter d’accuser le coup, gémir sur son sort, se dire que sa vie ne serait plus jamais la même, que jamais plus elle ne remarcherait normalement, et, pire encore, que jamais plus elle ne pourrait pratiquer l’une de ses passions, la danse Malkovsky. Elle aurait pu aussi en vouloir au responsable de ce qu’elle subissait, ne songer qu’à demander justice pour ce qu’il lui avait fait, à elle et aux autres blessés.
Or, Catherine n’a rien fait de tel. Il est évident que son état était loin d’être enviable mais elle ne s’est pas arrêtée à cela. En fait, elle a commencé par remercier d’être toujours en vie, car avant même cet « accident » Catherine était une personne passionnée par la vie, passionnée par le Beau, les arts. Elle confie même dans une interview qu’elle a donnée à une radio locale que, dès qu’elle a eu repris conscience, lui est venue à l’esprit cette très belle chanson de Jean Ferrat chantée autrefois pas Isabelle Aubret, elle-même victime d’un grave accident de la route,
C’est beau la vie. Puis, elle a pensé au conducteur du véhicule, cet homme qui avait fait de multiples séjours en hôpital psychiatrique et n’aurait jamais dû se retrouver au volant d’une voiture. Catherine a ressenti de la compassion envers cet homme, parce que selon elle, il était plus à plaindre qu’elle, enfermé qu’il était dans sa folie. Ensuite seulement elle s’est mise à vraiment penser à elle, à ce corps meurtri, cassé, immobilisé sur un lit d’hôpital. Il lui est immédiatement apparu comme évident qu’elle allait utiliser la danse Malkovsky pour sa rééducation. Et elle n’avait qu’une hâte, c’était de pouvoir déjà tenir sur ses jambes et remarcher.
Première période : visualiser
En attendant, immobilisée par ses fractures, que pouvait-elle faire ? Eh bien, elle n’est pas restée à ruminer et à se lamenter sur son malheur. Elle a commencé à agir avec ce qui fonctionnait parfaitement : sa pensée.
À peine sortie du coma, elle a décidé de se prendre en charge et a procédé à un « scanner mental » de son propre corps. C’est ainsi qu’elle a senti elle-même que sa cheville gauche était atteinte ainsi que son poignet droit et qu’elle a demandé aux médecins à passer une radio de ces régions, ce qui leur a permis de découvrir les fractures qui s’y trouvaient.
Puis elle s’est mise à se visualiser en train de danser. Chaque jour elle se voyait mentalement faire tous les mouvements qu’elle aimait : jouer avec une balle légère pour la faire rebondir ou la lancer en l’air et se sentir jaillir du sol avec elle, dessiner des spirales autour d’elle avec un foulard et se laisser emporter dans ces volutes ascendantes, ressentir la joie de danser en groupe, sentir la musique vibrer au plus profond d’elle-même… Et puis, m’a-t-elle également confié, elle a travaillé sur son » X « , cette croix qui traverse chacun d’entre nous, formée par les lignes obliques « épaule droite/jambe gauche et épaule gauche/jambe droite « . C’est cette croix qui structure et anime la marche naturelle telle que mise en évidence en particulier chez les félins mais aussi dans la marche nordique, le ski de fond ou la course en patins. C’est cette relation entre épaule et jambe d’appui opposée qui assure l’équilibre du corps lorsqu’il se déplace en ligne droite, que ce soit vers l’avant ou à reculons. C’est l’un des principes de base que l’on découvre quand on pratique la danse Malkovsky : le principe de latéralité croisée.
Catherine effectuait même des micro-mouvements, allongée dans son lit et s’endormait en marchant. Dans le même temps, elle était entre les mains des chirurgiens qui l’ont opérée, ont réparé ses fractures et lui ont redonné son visage d’avant. Ils ont fait, je crois, des miracles car celui-ci ne garde pas trace de ses blessures et, si elle n’avait pas dit qu’elle aurait été défigurée sans ces interventions, je ne l’aurais pas vu.
Deuxième période : les opérations et la rééducation
Catherine a donc subi une première opération pour sa fracture à la jambe gauche et une seconde pour le visage 15 jours plus tard. À partir de là, des aides-soignantes l’aidaient à se lever. Elles ont remarqué qu’elle gérait ses points d’appui, ce qui facilitait grandement leur tâche. Catherine attribue cette capacité à bien utiliser ses appuis à sa pratique de la danse Malkovsky. Elle s’est même très vite autonomisée, au point de se passer des aides-soignantes pour aller aux toilettes.
Puis on lui a mis la jambe gauche dans une gouttière et les médecins lui ont fait faire du kinétech pour son genou droit afin de le faire plier. Elle a trouvé ce procédé très douloureux et aurait préféré pouvoir tout faire à son rythme, beaucoup plus progressivement et dans le respect de son corps et des signaux qu’il lui envoyait à travers la douleur. Elle déplore avoir dû se battre contre la kinésithérapeute qui s’occupait d’elle, pour faire entendre son point de vue. Mais cela a accru sa détermination à faire sa rééducation avec la danse.
À partir du moment où elle a pu poser le pied par terre, Catherine a réappris à marcher entre deux barres parallèles et, là encore, elle a pratiqué l’X, au plus grand étonnement des équipes qui s’occupaient d’elle.
Troisième période : entrer de nouveau dans la danse
Enfin Catherine a pu marcher avec deux béquilles et quitter l’hôpital, il y a à peu près un an. À peine 4 mois après son « accident », elle a recommencé à danser. Arrivant aux cours avec des béquilles, elle les déposait pour danser, trouvant grâce à la pratique des mouvements naturels un meilleur équilibre. Elle m’a même avoué qu’elle dansait mieux qu’elle ne marchait ! Petit à petit, ses mouvements se sont déliés et ont retrouvé leur fluidité, sa marche dans la vie quotidienne est devenue plus sure. Quand je l’ai revue à un stage de danse au printemps dernier, elle utilisait encore une béquille pour marcher et boitait. Un an plus tard, elle marche sans béquille et ne boite plus. Elle dit aussi danser plus juste à cause des séquelles qui subsistent dans son corps et l’obligent à faire des pas plus petits et à être davantage centrée et intériorisée.
Les médecins et le personnel médical se sont étonné de la rapidité avec laquelle Catherine s’est rétablie. Elle dit que la hâte de retrouver les amis de la danse a été pour elle une source de motivation qui l’a grandement stimulée.
Aujourd’hui, elle prend cet événement comme une « leçon de vie ». Elle dit y avoir acquis la conscience aiguë d’être mortelle, ce qui l’a amenée à se sentir vivante et à accueillir chaque jour comme un cadeau. Elle dit aussi avoir appris à s’occuper d’elle, à se centrer sur l’essentiel et à savoir dire non. Elle affirme même que ce garçon qui a voulu la tuer lui a en fait tendu un miroir lui montrant la façon dont il lui arrivait malgré tout, auparavant, de se traiter avec violence…
Pour en savoir plus :
La danse libre, sur les traces d’Isadora Duncan et de François Malkovsky
d’Anne-Marie Bruyant – Éditions Christian Rolland (2012)
L’Américaine Isadora Duncan (1877-1927) a révolutionné la danse du XXe siècle en rejetant radicalement le langage et la formation de la danse classique au profit d’une danse plus naturelle et spontanée. Bien que les plus grands danseurs et chorégraphes qui lui ont succédé aient reconnu son rôle majeur dans l’évolution de la danse, la voie qu’elle a ouverte a été désertée par tous ceux qui occupent le devant de la scène. Inspiré par la danseuse aux pieds nus, François Malkovski (1889-1982) fut le génial inventeur d’une pédagogie permettant au corps de retrouver et conserver sa liberté de mouvement afin d’exprimer les émotions humaines.
La danse libre a quitté la scène et ses spectacles, mais elle a intégré la vraie vie. Elle s’offre maintenant à quiconque ressent le désir de « danser sa vie », allumé par Isadora Duncan, pour vivre mieux et plus intensément. Cet ouvrage est né de la rencontre entre la pratique de la danse libre de l’auteur et les « Dialogues avec l’Ange » de Gitta Malash. S’est alors ouvert pour Anne-Marie Bruyant le chemin qui permet à l’âme de s’exprimer à travers le corps et à celui-ci d’écouter le chant du monde. Par ce livre, elle partage son expérience de la danse libre et propose au lecteur d’emprunter cette voie inspirante sur les traces d’Isadora Duncan et de François Malkovski.