Les bienfaits de la Danse Libre
Une réponse aux maux créés par la civilisation moderne ?
Les progrès technologiques nous ont prétendument libérés de tout effort physique mais, contrairement à ce à quoi l’on pouvait s’attendre, cette pseudo-libération affecte le bon fonctionnement de notre corps et de notre psychisme.
On marche peu, on se sert peu de son corps et le reste du temps on est bien souvent avachi dans un canapé devant la télévision ou assis devant un écran d’ordinateur. Danser permet de redécouvrir son corps, cet inconnu, avec par voie de conséquence des effets bénéfiques sur l’esprit.
Contrairement à d’autres formes de danse ( classique, modern’danse, hip hop, etc.) la danse libre ne requiert pas de compétences spéciales sur le plan physique. Il n’est besoin que de celles nécessaires à l’accomplissement de la vie de tous les jours, c’est-à-dire en premier lieu marcher. Il importe aussi de pouvoir laisser jouer ses épaules et de ne pas avoir le dos, les genoux ou les pieds atteints d’une pathologie invalidante. Pour le dos, si le mal n’est pas trop important et dû essentiellement à de mauvaises postures répétées au fil des jours, elle peut considérablement améliorer la situation en nous faisant prendre conscience de nos mauvaises postures et en nous permettant de les corriger. Cela posé, on peut dire que les effets résultant d’une pratique régulière de la danse libre sont inversement proportionnels à la simplicité des mouvements.
La marche… base de la danse libre…
La marche naturelle constitue la base de la pratique de danse libre. Elle a comme premier effet de libérer la circulation de l’énergie ainsi que la respiration. Rappelons qu’il s’agit de marcher en laissant balancer les bras en latéralité croisée et ouvrir l’articulation de l’épaule située en arrière, tout en se recevant à chaque pas sur l’avant-pied, bien nommé en hébreu « fontaine jaillissante ». La médecine chinoise confirme d’ailleurs l’importance de cette partie du pied lorsqu’elle dit que c’est dans cette zone que l’énergie de la Terre pénètre le corps. Quand on marche ainsi, c’est comme si à chaque pas on mettait le pied sur un petit geyser d’énergie. Quelques minutes de cette marche suffisent pour se sentir dynamisé.
Notons par ailleurs que depuis quelques années, les bienfaits de cette façon de marcher sont abondamment vantés à travers la pratique de la marche nordique. Celle-ci en effet propose de marcher en utilisant des bâtons posés sur le sol à chaque pas en latéralité croisée. Cela accroît justement le mouvement des épaules, la plupart du temps bloquées ainsi que tout le reste du haut du corps lorsque nous marchons dans notre environnement quotidien.
Associés avec des mouvements réalisés par les mains, les effets de cette marche sont décuplés parce que ce n’est plus marcher pour marcher ou pour atteindre une destination. On greffe du sens sur cet acte si ordinaire et c’est là que la psyché entre en jeu. D’autant que si on utilise les membres supérieurs en marchant, le principe de latéralité croisée intervient la plupart du temps.
De fait, danser nécessite la mobilisation et l’utilisation de toutes sortes de facultés psychiques. Nous n’en évoquerons ici que quelques-unes. En premier, il faut bien sûr une écoute attentive de la musique, qui implique l’exercice de la concentration. Il n’est guère possible de danser si on laisse au mental « les clés de la maison », c’est-à-dire si on permet aux pensées qui l’envahissent de façon constante, toute liberté de le faire. Mais en même temps…il ne faut pas être trop concentré non plus car l’auto-observation bloque les réflexes naturels, qu’on cherche justement à retrouver.
Observation, visualisation ou imagination…
Il est nécessaire aussi de faire appel au sens de l’observation, de la visualisation ou imagination : tel mouvement qui paraît simplissime quand on le voit réalisé par quelqu’un d’autre, ne l’est plus autant quand on le fait soi-même. D’où l’importance de bien concevoir ce que l’on va faire avant de se lancer. Cela suppose donc de s’organiser intérieurement avant de commencer : sur quel appui suis-je ? quelle main déclenche le mouvement ? quel pied vais-je poser ? dans quelle direction vais-je me déplacer ? Il faut faire tout cela avant, afin de ne plus y penser au cœur de l’action pour laisser la sagesse naturelle du corps prendre le relais. Si « danser c’est penser avec son corps », comme l’affirme le philosophe Georges Steiner, on ne peut danser en pensant. Au contraire, pour danser il faut d’une certaine façon « perdre la tête ».
Il faut enfin faire preuve de capacité à anticiper, c’est-à-dire prévoir les différentes phases des mouvements pour se mettre en accord avec les phrases et motifs musicaux.
Toutes ces facultés exercées conjointement constituent en fait un puissant levier pour développer ce que l’on peut appeler la « présence à soi-même », c’est-à-dire être présent au présent, vivre pleinement l’instant « présent ». Alors on peut saisir que le présent est un cadeau.
En accroissant notre conscience corporelle, en devenant conscients de ce qui se passe dans le corps en mouvement, nous développons tout simplement notre conscience.
Mais il ne faudrait pas imaginer que cela est…fatigant ou ennuyeux. Rien de tel car tout se fait dans le jeu et la bonne humeur.
Les mouvements de la danse libre
Si la marche naturelle est la base de la pratique de la danse libre, celle-ci ne se limite pas à celle-là. La danse libre n’est pas qu’une question de pas réalisés avec les pieds comme le sont d’autres formes de danse, le reste du corps et en particulier les mains étant peu ou pas sollicités. Dans le cadre de l’entraînement, il est en effet question de réaliser toutes sortes de jeux, avec une ou des balles légères ou lourdes, des foulards, des bâtons ou à main nue, tout en marchant au rythme de la musique.
Mais au fait, pourquoi utilise-t-on des accessoires en danse libre ? C’est en fait pour matérialiser le trajet de l’énergie, dessiner dans l’espace, c’est-à-dire dans ses différents plans, des formes, des figures, lignes, cercles, arcs de cercle ou spires, qui constituent la structure des mouvements et donc du corps en mouvement. Cela aide à être conscient de ce qui se passe en soi-même. Pour parodier un jeu télévisé célèbre il y quelques années, en danse libre « dessiner c’est gagner ». Mieux on dessine dans l’espace avec ses mains et mieux le corps se coule dans la structure du mouvement. Et plus on réalise un geste juste, un geste économique sur le plan énergétique, plus on se sent bien à tous les niveaux de son être car le mouvement est créé par le corps tout entier, dans son unité retrouvée.
D’autant plus que dans le même temps et sous l’effet de la musique, le cerveau émotionnel est entré dans le jeu. C’est à travers lui que l’organisme entier, le corps biologique, dialogue avec l’esprit. C’est lui encore qui pilote le système nerveux autonome et, par ce biais, commande toutes les fonctions viscérales ainsi que le système hormonal dont les sécrétions transitent via le système nerveux central. C’est dire l’importance qu’il y a à lui permettre de s’exprimer positivement.
Corps-Esprit-Émotion
En tout cas, corps-esprit-émotion, voilà le ternaire, qui constitue chacun d’entre nous, réuni par la magie de ces jeux d’enfant…
Il ne m’est pas possible ici de développer tous les effets bénéfiques, tant sur le corps que sur l’esprit, que peut avoir la danse libre. Aussi me contenterai-je de n’en citer encore que quelques-uns. Conserver son équilibre et sa vitalité tout au long de sa vie est sans aucun doute parmi les plus intéressants. On nous rebat chaque jour les oreilles avec l’augmentation de la durée de la vie. Mais de quelle vie s’agit-il lorsqu’on voit des maisons de retraite remplies de personnes qui ne peuvent plus se déplacer autrement qu’en fauteuil roulant ou à l’aide d’un déambulateur ? Non, ce n’est pas une fatalité et la vieillesse n’est pas nécessairement un naufrage. Il est au contraire d’une importance primordiale de continuer à conserver toutes ses facultés motrices le plus longtemps possible afin de rester une personne autonome. Malkovsky a continué à danser jusqu’à un âge très avancé (il avait 87 ans lorsque j’ai fait mon premier stage avec lui…) et nombre de ses élèves lui emboîtent allègrement le pas.
Quant aux jeux de balle, c’est fou les effets qu’ils peuvent avoir sur la jeunesse du cerveau. D’après certains chercheurs en neurosciences, ils aident à la reconstitution des neurones, influant sur le développement des cellules de l’hippocampe, là où se stockent nos souvenirs et notre capacité à nous diriger dans l’espace. Tout autant que la pratique de la musique, que ce soit à travers celle d’un instrument ou de la danse.
Pour en savoir plus :
La danse libre, sur les traces d’Isadora Duncan et de François Malkovsky
d’Anne-Marie Bruyant – Éditions Christian Rolland (2012)
L’Américaine Isadora Duncan (1877-1927) a révolutionné la danse du XXe siècle en rejetant radicalement le langage et la formation de la danse classique au profit d’une danse plus naturelle et spontanée. Bien que les plus grands danseurs et chorégraphes qui lui ont succédé aient reconnu son rôle majeur dans l’évolution de la danse, la voie qu’elle a ouverte a été désertée par tous ceux qui occupent le devant de la scène. Inspiré par la danseuse aux pieds nus, François Malkovski (1889-1982) fut le génial inventeur d’une pédagogie permettant au corps de retrouver et conserver sa liberté de mouvement afin d’exprimer les émotions humaines.
La danse libre a quitté la scène et ses spectacles, mais elle a intégré la vraie vie. Elle s’offre maintenant à quiconque ressent le désir de « danser sa vie », allumé par Isadora Duncan, pour vivre mieux et plus intensément. Cet ouvrage est né de la rencontre entre la pratique de la danse libre de l’auteur et les « Dialogues avec l’Ange » de Gitta Malash. S’est alors ouvert pour Anne-Marie Bruyant le chemin qui permet à l’âme de s’exprimer à travers le corps et à celui-ci d’écouter le chant du monde. Par ce livre, elle partage son expérience de la danse libre et propose au lecteur d’emprunter cette voie inspirante sur les traces d’Isadora Duncan et de François Malkovski.