Le pouvoir subtil des hydrolats
Les hydrolats
Des hydrolats, on connaît surtout l’eau de fleurs d’oranger… Ses arômes gourmands égayent les pâtisseries orientales et donnent à nos crêpes sucrées du terroir une inimitable saveur d’enfance. Quant à l’eau de rose, également ingrédient phare des loukoums, c’est en cosmétique qu’elle est prisée pour sa senteur enivrante et son action antiride. Les hydrolats de bleuet, de tilleul et d’hamamélis sont aussi traditionnellement assez répandus. Pourtant, au-delà de ces quelques références, les hydrolats étonnent par la richesse de leur variété (il en existe potentiellement autant que d’huiles essentielles) et plus encore pour leurs vertus médicinales, lesquelles gagnent petit à petit leurs lettres de noblesse
Produit issu de la distillation de plantes aromatiques (appelé eau florale lorsqu’il s’agit de la distillation de fleurs), l’hydrolat est une eau imprégnée d’une fraction de molécules odorantes. À la sortie du serpentin, l’hydrolat se distingue de l’huile essentielle, qui se situe en dessous, en raison de sa densité plus importante. Le nom d’hydrolat vient du grec hydro (eau) et du latin lac (lait), en raison de son apparence légèrement laiteuse dans les instants suivant la distillation. Considéré aujourd’hui comme un « déchet » et souvent jeté, l’hydrolat aurait pourtant été un temps considéré comme le produit « noble » aromatique par excellence.
Introduits en Occident au temps des Croisades, les hydrolats remonteraient aux origines des procédés de distillation dans l’Indus, au Pakistan, puis en Égypte antique. Les eaux parfumées y étaient en effet très prisées. Comme le rapporte le livre Hydrolats et eaux florales, édité chez Vuibert, la légende raconte que Cléopâtre faisait imbiber les voiles de son navire d’eau de rose lorsqu’elle quittait Marc Antoine. Ces eaux précieuses atteignirent leur apogée en Occident au XVIIIe siècle, où les livres de référence en dénombraient plus de deux cents. Puis elles finirent par tomber dans un quasi-oubli au XXe siècle, du fait de l’émergence des huiles essentielles.
Considérés comme les versions douces, « homéopathiques » des huiles essentielles, les hydrolats ont pourtant une composition biochimique qui leur est propre. Contenant de l’huile essentielle, mais faiblement (entre 0,05 % et 1 %), ils contiennent de plus des principes actifs identiques à ceux retrouvés dans les infusions. En effet, lors de la distillation, la vapeur d’eau extrait et entraîne non seulement les composés aromatiques, mais aussi d’autres molécules légères de la plante, comme les minéraux et les oligo-éléments. Côté principes actifs aromatiques, ce sont les plus volatils et ceux qui sont solubles dans l’eau qui se retrouvent principalement dans l’hydrolat, comme ceux de la famille des alcools (linalol, geraniol, alpha terpineol…), des phénols (eugénol, thymol, carvacrol), des oxydes, (1,8 cinéole) et des aldéhydes aromatiques.
Toute l’information de la plante
Encore peu étudiés jusqu’à présent, les hydrolats présentent à la fois un profil biochimique proche de leur huile essentielle, voire identique, tout en pouvant varier de manière notable en fonction de la plante distillée. Les auteurs de Hydrolats et eaux florales relatent dans leur guide, pour chacune des 56 fiches d’hydrolats étudiés, les composants biochimiques dominants. Pourtant, au-delà de la stricte chimie, Patricia Dalmas (auteur du Guide des eaux florales et des hydrolats, éditions Médicis), estime avec d’autres spécialistes que, dans la lignée des travaux de Jacques Benveniste sur la mémoire de l’eau, l’hydrolat posséderait toute l’« information » de la plante. Elle se base sur le principe que « l’eau en contact avec une substance conserve les propriétés de cette substance alors que celle-ci ne s’y trouve plus statistiquement ».
À l’image du principe homéopathique, avec une faible concentration en principes actifs, les hydrolats sont de plus en plus utilisés et reconnus en phytothérapie, pour leurs propriétés sur les maux physiques, mais aussi sur la sphère psycho-émotionnelle. On peut les utiliser sous forme orale, en ingérant une cuillère à café ou à soupe dans un peu d’eau (tiède de préférence), mais aussi en application dermique grâce à des compresses imbibées, ou en pulvérisation. Leur faible concentration en huile essentielle les rend utilisables par tous, y compris les enfants, les femmes enceintes, les personnes à la santé fragile, et même les animaux, dont les chats, auxquels les huiles essentielles sont interdites. À noter cependant que les hydrolats issus de la distillation de plantes à phénols produisant une huile essentielle dermocaustique, comme la cannelle ou la sarriette, sont à manier avec précaution et à diluer en cas d’application sur la peau ou les muqueuses.
Un large éventail de soin
Parmi les grandes utilisations des hydrolats, citons leur capacité à désinfecter plaies, coupures, et égratignures, comme avec la ciste ladanifère et le tea trea, en pulvérisation. Autre utilisation : les inflammations et allergies. Là où les huiles essentielles peuvent potentiellement aggraver un symptôme par leur trop grande concentration, les hydrolats entrent en scène. Celui de camomille matricaire est efficace en cas d’allergie au soleil ou de rhume des foins. La rose, l’hélichryse italienne et le bois de santal soulagent l’eczéma et le psoriasis. Certains hydrolats sont aussi intéressants en cas de grippe intestinale. Ceux de cannelle, sarriette, thym à linalol ou à thymol et romarin enrayent la maladie, à raison d’une cuillère à café du mélange toutes les heures dilué à parts égales dans un peu d’eau. Mais ce sont dans les troubles psychiques et émotionnels que ces « eaux magiques » se révèlent particulièrement actives, et parfois en une seule prise, comme l’observe Lydia Bosson, auteur de L’Hydrolathérapie (éditions Amyris). Ainsi, l’eau de rose soutient en cas de choc émotionnel, de tristesse et de deuil. Celle de fleurs d’oranger soulage le stress et le trac. La verveine citronnée est utile en cas de dépression nerveuse, de peurs et d’angoisse, de manque de joie. L’impatience, la nervosité et l’agitation mentale sont calmées par l’hydrolat de lavande officinale.
Bien les conserver
Produit certes doux, l’hydrolat est proportionnellement fragile… En effet, sa faible concentration en huile essentielle et l’éventuelle présence de microparticules végétales favorisent la prolifération de bactéries. D’une durée d’utilisation de six mois à deux ans, ils sont à conserver de préférence au frais (idéalement au réfrigérateur), à l’abri de la lumière et de l’air. En cas d’apparition de filaments blancs, indiquant une prolifération de micro-organismes comme des algues, et d’une odeur de vinaigre ou de lait fermenté, mieux vaut s’en débarrasser. Attention aux « faux » hydrolats, parfois appelés « eau aromatisée » ou « eau parfumée » ; ou encore ceux auxquels ont été ajoutés des conservateurs non naturels. En effet, rappelons qu’un hydrolat est, comme une huile essentielle, un produit 100 % pur et naturel. Enfin, toutes les qualités ne se valent pas… Les meilleurs ont recours à de l’eau de source lors de la distillation.
Isabelle Fontaine
Plantes et Santé
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